"V for Vendetta", ou comment massacrer l'oeuvre d'Alan Moore

Toute adaptation d'une oeuvre au cinéma, quelqu'en soit, la nature constitue une tâche perilleuse voire souvent impossible. Qu'ils soient littéraires ou, ici, bédéphiliques, le portage au grand écran se doit à la fois de préserver les fans de la première heure, de prendre en compte le contexte de l'oeuvre au moment où elle fut engendrée et de se plier à la vision du réalisateur. Composer avec ces contraintes relève donc plus souvent de la gageure que de l'exploit et peu d'auteurs s'en sont sorti avec les honneurs. D'autant plus qu'avec les oeuvres dîtes de genre les miracles ne furent pas légion et les échecs  trop nombreux pour être nommés. Echec flagrant encore une fois ici car McTeigue, sous la férule des frères Wachowsky, se révèle plus comme un mauvais faiseur qu'un héritier des Ridley Scott ou Howard Hawks dans le domaine de l'adaptation.
  
Pourtant si ardue était la tâche qu'elle n'en était que plus excitante aux vues du matériau d'origine. V for vendetta reste encore aujourd'hui comme l'une des oeuvres les plus riches de la bande-dessinée. Œuvre phare du scénariste anglais Alan Moore, qui le révéla d'ailleurs au grand public, V marqua le début des années 80 tant par sa maturité au niveau des thèmes abordés que par le raffinement de son écriture. La prouesse de Moore lui valut même de concourir pour le prix Pullitzer...
  
V dans sa version d'origine est une vaste parabole nous contant la guerre d'un homme brisé nommé V, paré d'un masque fawksien,  contre une institution totalitaire en Grande-Bretagne. Moore, amateur d'effets littéraires utilise systématiquement la lettre V à la fois pour signer les crimes de son héros ou pour chapitrer son ouvrage. De la Ve symphonie de Beethoven aux citations latines les plus obscures, tout y passe. Véritable brulôt anarchiste écrit sous le régime de la Dame de Fer, V for vendetta ose tout à l'ère du temps des tabous et de la répression. Appel à la liberté plus qu'à la simple révolte anarchiste V y est décrit plus comme un résistant des temps modernes qu'un adepte illuminé de Proudon.
  
Or qu'est-il advenu de la richesse de l'œuvre originale après la transposition aussi bien scénaristique des frères Wachowsky  que visuelle de McTeigue ? Le résultat si l'appellation est encore justificative est inversement proportionnelle aux qualités originales. Après vision du film, le spectateur se trouve placé devant un produit certes subversif mais bien en deça des idées énoncées de la bande dessinée d'origine. Placé toujours dans un contexte totalitaire, le film tente maladroitement de calquer la critique de l'Angleterre tatchérienne des années 80 à une vision actuelle plus globale, celle des Bush et consorts. Mais si louable est le propos, abjecte devient la démonstration à grand renforts déplacés d'idéologie religieuse et de terrorisme post onze septembre. On tient là un effet de style boursoufflé de prétention dénué de toute intelligence et de retenue qui faisait la grande force du discours de Moore. Mais de la part des Wachowsky brothers je ne m'attendais pas à mieux. Quand à l'adaption des personnages et de leurs relations, cela relève plus du grotesque que du Murnau. Entre l'adéquation entre V et le terroriste sans foi ni loi , la séquence de Benny hill plus inepte qu'audacieuse ou l'insupportable romance entre Evey et V, l'incohérence du propos énoncé face au matériau d'origine devient une épine douloureuse, qui jalonne le film . Quant à la fin, digne d'un film de série z, à grands coups d'effets faciles, elle laisse pantois le plus crédule des spectateurs et ne rend en aucune façon hommage au travail de Moore. Après From Hell et La Ligue des gentlemen extraordinaires voici encore une oeuvre de Moore massacrée. Quel gâchis.
 
François Verstraete

Si vous y tenez vraiment, voir le site officiel français du film


film de James McTeigue d'après la BD d'Alan Moore, sortie française avril 2006, avec Nathalie Portman et Hugo Weaving

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