"Ferrailleurs des mers" de Paolo Bacigalupi

Les Etats Unis d’Amérique après la chute de l’ère pétrolière sont devenus un pays du Tiers Monde. Des trafiquants de métal et de rouille trouvent dans la mer de quoi alimenter leur commerce sur d’immenses tankers. L’un d’entre eux, le jeune Nailer, rêve quand à lui d’aventure. Lorsqu’il vient à d’aide d’une bien étrange jeune fille, c’est alors l’Aventure qui vient à lui.

 

L’île aux pirates

 

Après le succès critique de  La Fille automate, Paolo Bacigalupi revient cette fois avec une  œuvre jeunesse, savant mélange entre roman d’aventures et roman de science-fiction. Pourtant il délaisse le public de son premier roman et livre finalement  un roman destiné à la jeunesse. Démarche aussi étonnante que risquée. Après avoir remporté les prix littéraires réservés à la science-fiction les plus prestigieux  pour La Fille automate, Bacigalupi réitère l’exploit en remportant de nombreux prix jeunesse pour  Ferrailleurs des mers. En trois romans (dont un reste à traduire) seulement, il s’impose déjà comme un auteur incontournable du début du vingt et unième siècle, au sein de la famille de la science-fiction.

 

Avec  Ferrailleurs des mers, Bacigalupi met en place  un univers post apocalyptique où la technologie est partagée entre évolution et régression,  un monde régi plus que jamais par les multinationales et où la voie maritime est redevenue la voie royale de déplacement. Et il devient logique au milieu de ces eaux troubles de voir arriver des pirates. Car c’est bel et bien une savoureuse histoire de pirates que Paolo Bacigalupi nous narre avec Ferrailleurs des mers.

 

Savoureuse mais aussi bien singulière, car il n’hésite à balayer très tôt l’équipage charismatique de gueules cassées qu’il s’est évertué à décrire pendant le premier chapitre. Pour mieux se concentrer sur Nailer, le plus chétif mais aussi le plus chanceux d’entre eux.

 

L’île au trésor

 

Celui que l’équipage surnomme « lucky boy » va donc embrasser progressivement sa destinée. Car bien qu’il s’agisse d’un roman jeunesse, Ferrailleurs des mers  possède une ambiance et des thématiques aussi pesantes que matures.

 

« Mature » est le mot adéquat car le véritable trésor que Nailer recherche et trouvera n’est pas celui qu’on croit. Car au-delà de la simple histoire d’aventures, on découvre un véritable roman d’apprentissage où Nailer l’adolescent va peu à peu accéder à l’âge adulte. Pour cela, il devra prendre des décisions qui le mèneront vers une vie au combien différente, quitte à en payer le prix  . Qui plus est, l’auteur ajoute son lot de personnages aux motivations ambiguës, égoïstes et pourtant tellement humaines. On est très loin des personnages de la saga « Harry Potter » destinée au même public. Bacigalupi reprend le même type de personnages que ceux de La Fille automate, c’est à dire des survivants. Simple observateur, l’auteur ne juge jamais les choix de ses personnages qui sont au final plus proches des réalités contemporaines que de la classique vertu héroïque. Ni noir, ni blanc, juste un mélange de gris ans lequel nos protagonistes vont essayer de s’extraire. Et quand l’heure de couper les liens paternels arriveront, Nailer atteindra son rêve ensanglanté. Quête initiatique et aventures pirates dans un monde désenchanté, voilà le cocktail proposé par ce roman.

 

En outre, Bacigalupi continue d’exprimer les angoisses liées aux dérives du monde contemporain (pollution, omniprésence des multinationales, crise de l’énergie) exprimées dans La Fille automate  et devient par là même l’héritier naturel de William Gibson ou Neal Stephenson. Entre peur des multinationales, destruction de l’écosystème, crise des ressources énergétiques et manipulation génétique dévoyée, il devient le nouveau prophète de l’ère post cyberpunk. Quand il ajoute une narration fort fluide (même pour un roman jeunesse) et une ambition toujours renouvelée, il accouche avec ce Ferrailleurs des mers d’un résultat détonnant  et réconfortant.

 

François Verstraete

 

Paolo Bacigalupi, Ferrailleurs des mers, traduit de l’anglais par Sara Docke, Au diable Vauvert, 394 pages, Avril 2013, 18 €


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