Frankenweenie, Tim Burton rajeunit le mythe


















A 25 ans, Tim Burton, alors dessinateur chez Disney, réalisa un film de vingt-cinq minutes, transposition de l’histoire de Frankenstein, avec un chien à la place du monstre et un gamin au lieu du savant un peu fou. Cela donna Frankenweenie. Bien des années plus tard, il reprend son histoire pour en faire un long métrage mais, cette fois, avec des marionnettes. Selon le procédé de « stop motion » (image par image).


« Travailler en stop motion est très différent de tout ce qui se fait dans le cinéma, explique Tim Burton. On peut passer une semaine pour filmer un seul mouvement complexe. Le temps que les techniciens fassent tout ce travail minutieux, j’ai eu le temps de réaliser un autre film et Londres a eu le temps de construire un nouveau stade olympique !... J’aime le stop motion car c’est une manière de revenir aux débuts du cinéma. C’est comme faire du cinéma à l’ancienne. Garder cette connexion est pour moi primordial. Tout est fait à la main, manipulé par des artisans image par image. Je vois cela comme un vrai geste d’amour envers le cinéma. C’est dans cet état d’esprit que l’on devrait faire tous les films.»


Etendues sur presque trente ans, les relations entre Burton et les studios Disney ressemblent presque à un jeu du chat et de la souris. Jeu cruel, bien sûr.


« J’ai grandi avec les films Disney et je rêvais de travailler dans cet univers, confie-t-il. J’ai été engagé mais je n’étais pas un très bon animateur, je n’avais pas le style Disney. Mais envies s’orientaient plus vers les films réalisés par Ray Harryhausen [Jason et les Argonautes] à base de marionnettes et de statuettes. Et j’ai été viré de chez Disney ! »


Au XXIe siècle, il est revenu par la grande porte et le triomphe mondial de son Alice aux pays des merveilles lui a valu tapis rouge. D’où la deuxième chance donnée à Frankenweenie.


« Les studios Disney ont beaucoup changé depuis mon départ. Ce n’est plus du tout la société que j’ai connue. A mon époque c’était la belle époque de l’animation. Or, l’animation aussi a beaucoup changé. Disney a traversé des périodes de crise mais aujourd’hui elle bénéficie de sang neuf et est bien repartie. Toutefois, je ne voulais pas faire un dessin animé en encore moins en 3D. Le challenge de Frankenweenie c’est justement de donner de la vie à des objets inanimés. C’est à la fois le sujet du film et la façon dont nous avons travaillés avec la stop motion. »


Ce Frankenweenie là n’est pas un remake du précédent mais puise dans les mêmes sources.


« Nous sommes repartis de mes premiers dessins mais cela reste un nouveau projet pour moi. Je trouve cette version plus sincère. »


Ces sources sont celles qui nourrissent constamment l’imagination de Tim Burton. On peut y voir des hommages, des clins d’œil, des références, il préfère parler de souvenirs :


« Je ne pense jamais aux références car d’innombrables références encombrent ma mémoire. Il y a les films de la Hammer mais aussi ceux d’Universal, les productions japonaises sans oublier des gens que j’ai rencontrés. Toute mon œuvre se rapporte à mes souvenirs. »


Une référence au moins est évidente : celle de Vincent Price. Puisque le professeur de sciences du jeune Victor a les traits de ce comédien qui s’est rendu célèbre par ses participations à moult films d’horreur.




« Les films avec Vincent Price m’ont beaucoup marqué, admet Tim Burton. Son jeu était plus subtil qu’effrayant, presque mélodramatique et c’est pourquoi je pouvais m’identifier à lui. Un jour, je lui ai envoyé l’histoire de Vincent, un court-métrage que je voulais réaliser pour lui et avec lui. Il m’a répondu par une très jolie lettre que j’ai gardée. Quand je l’ai rencontré c’était vraiment un rêve qui se concrétisait. Ce fut la plus belle expérience que j’ai jamais eue. C’est grâce à lui que j’ai pu faire Vincent. A le voir vivre et travailler j’ai compris qu’il n’était pas seulement un grand acteur mais aussi une personne hors du commun. Ray Harryhausen et Christopher Lee m’ont aussi beaucoup marqué mais dans des registres différents. Tous sont des gens à la fois curieux de tout et très généreux. Je continue de me sentir inspiré par ces personnalités. »


Dans ce film, on trouve aussi de nombreux emprunts à des films célèbres, de Godzilla aux Gremlins, mais traités avec humour et déférence. Sans oublier les inévitables chauves-souris.


« Les chauve-souris ne sont pas des références à Batman, rappelle Burton. Je ne regrette pas ce film que j’ai beaucoup aimé faire car j’aime profondément le personnage mais la chauve-souris est surtout indissociable des films d’horreur. C’est le symbole d’un rêve impossible et des cauchemars les plus sombres. »


Frankenweenie est une histoire simple : un jeune garçon, Victor, très doué scientifiquement, trouve le moyen de redonner vie à son chien, Spanky, qui s’est fait écraser sous ses yeux. De peur de passer pour un fou, il cache sa trouvaille. Hélas, d’autres ados découvrent ses pouvoirs et tentent de les copier. Avec des résultats désastreux. L’action se déroule dans une ville paisible aux allures hollandaises. Le genre de cité qui revient souvent dans la filmographie de Tim Burton depuis Edward aux mains d’argent.


« Les lieux de Frankenweenie sont proches de ceux que j’ai connus dans mon enfance, dit-il. J’ai grandi dans la banlieue américaine à Burbank. Et cette banlieue a fait ce que je suis devenu. Je n’ai aucun désir de vengeance mais c’est vrai que je ne m’y suis jamais habitué. Cette banlieue a participé à ma construction personnelle. Je n’ai pas été un enfant complètement heureux mais je ne crois pas qu’il y ait d’enfances heureuses de façon permanente. Il y a tant de stades à passer. Pour ma part, mon amour pour les films d’horreur, qui s’est manifesté très tôt, m’a tenu à l’écart des autres enfants. Parce que j’aimais ce genre de films et les contes fantastiques, on me traitait de taré. De mon côté, je me trouvais plutôt romantique et ce sont les autres que je trouvais bizarres ! Les enfants et les adultes que l’on voit dans le film sont proches de ceux que j’ai connus dans mon enfance. Le professeur scientifique est une combinaison de plusieurs de mes professeurs. Certains professeurs changent votre vie et ceux-là ont eu une grande influence sur moi. Ils m’ont beaucoup inspiré. »


Frankenweenie est en noir et blanc. Ce qui n’est pas vraiment une surprise.


« Je pense que je suis comme les chiens : je rêve en noir et blanc. », explique Burton.




Il est fidèle à l’univers si personnel et si envoûtant de ce cinéaste hors norme et se situe, forcément, à la lisière du fantastique.


« Beaucoup de gens oublient que les dessins animés de Walt Disney sont effrayants. Y compris Blanche-Neige avec sa sorcière et sa forêt maléfique. La mort de la mère de Bambi a aussi quelque chose d’angoissant. En fait, Walt Disney explorait plusieurs aspects et dans chacun de ses films on trouve un côté noir. Les adultes ont souvent tendance à idéaliser l’enfance. Or l’enfance est souvent noire. Il y a beaucoup de rivalités entre les enfants et c’est un des sujets que j’ai voulu traiter avec Frankenweenie


L’œuvre de Burton a vraiment quelque chose d’envoûtant. Ses films ne sont pas tous des réussites absolues mais tous dégagent une tendresse et une poésie qui réveillent la part d’enfant enfouie en chacun de nous. Car Tim Burton est le plus enfant de tous les cinéastes américains. Tout part de là et tout revient là.




« Mon premier dessin d’enfant, je ne m’en rappelle pas. Il doit être enfermé quelque part dans une malle. Je dessinais de manière très grossière et j’ai mis des années à affiner mon trait. Gamin, les deux métiers que je voulais faire étaient soit de devenir un scientifique fou, soit de devenir Godzilla ! J’ai toujours été attiré par la science. A l’âge de huit ans, je faisais déjà des films en Super 8 qui se voulaient autant des projets scientifiques qu’artistiques. »


Il est évident que Tim Burton a encore beaucoup à raconter tant est riche son imaginaire. Ceux qui estiment qu’il copie toujours le même film se trompent lourdement. Il est à chaque fois novateur. Frankenweenie déborde de charme, de tendresse et d’humour grinçant.


Il ne reste plus qu’à attendre ses prochaines œuvres. A condition qu’il est le temps de s’y consacrer.


« Je ne suis pas quelqu’un de très discipliné. J’aime vivre auprès de ma famille et j’essaie de m’isoler pour trouver mon inspiration. Cela peut se faire en musique ou dans le silence. J’ai besoin de trouver du temps pour ne rien faire mais les obligations actuelles m’en empêchent trop souvent. C’est pourquoi j’évite au maximum Internet et toutes les technologies modernes. Je préfère regarder les paysages et décrypter mes vieux rêves.»


 

Philippe Durant


FRANKENWEENIE

Film d'animation de Tim Burton

1h27 

sortie le 31 octobre 2012

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1 commentaire

PCL

Il est amusant de voir la photo où nous voyons l'envers du film, la technique d'animation des marionnettes (dont je ne retrouve plus le nom ceci dit, honte à moi) de Tim Burton !
Il faut de la patiente ceci dit...