Woody Allen : chanter sous la pluie

Octogénaire, Woody Allen a été emporté par l'affaire Weinstein. Le "monstre" est blacklisté et son film non distribué aux USA. Il nous arrive en Europe avec comme héroïne New-York dans une comédie romantique et cruelle tournée en 2017.
Revenant sur son motif majeur et sa ville fétiche (elle est "son sang" dit-il), Allen y puise une des millions d'histoires qui peuvent la traverser. Manhattan reste donc son cœur de cible, son ADN, et il y propose une nouvelle variation.

Quoique vieillissant (il faut bien appeler l'âge par son nom) le temps semble ne pas avoir de prise sur Woody Allen même si, dit-il, la ville résiste car elle possède sa propre personnalité comme tout organisme vivant avec ses circulation et ses problèmes. Ce film est aussi et comme toujours une variation sur les love affairs dans un New York ruisselant lorsque deux gamins viennent y passer le week-end. L'un est ravi, l'autre pas. S'y dévoilent des failles qu'on ne soupçonne pas d'emblée. De même que des situations amoureuses qui placent le film totalement dans son époque.

Il est en écho avec le chef d'œuvre du réalisateur  Manhattan. S'y retrouve la voix off d'un narrateur. Comme Billy Wilder Allen aime cette voix de "scénariste" ou de "conférencier". Elle offre sa musicalité au film comme la voix de Timothée Chalamel, personnage que le réalisateur aurait aimé incarner s'il était resté plus jeune.
Quant à Elle Fanning, elle interprète pour une fois un personnage de comédie. Elle l'incarne de manière remarquable en rien ridicule mais totalement émouvante en devenant une nouvelle Diane Keaton là où craque sans condescendance mais avec distance le vernis de l'intellectualisme high-tech new-yorkais.

Le chef opérateur Vittorio Storavo dirige l'image pour la troisième fois  chez Allen. Leur mariage est parfait. Celui-ci lui accorde la liberté nécessaire pour ne pas interférer dans sa propre poésie très préparée et qui complète le dilettantisme (apparent) du réalisateur. La mise en scène est parfaitement en place et délicieusement acide. Preuve que Allen reste le maître de la comédie légère et corrosive délicieusement érotique mais juste ce qu'il faut.
Le sens du montage est parfait même si le réalisateur possède les même moments de crise que ceux éprouvés par son personnage du cinéaste.

Il convient d'apprécier ce film pour ce qu'il est et hors du contexte "moral" qui entoure son créateur. Il le mérite car il est parfaitement réussi. Le récit n'échappe jamais au réalisateur. Il le maîtrise sans avoir l'air d'y toucher. C'est là the Allen's touch. L'auteur réussit aussi bien dans le sombre (son avant dernier film) que  le léger (celui-ci). Depuis il a tourné un nouveau film en Espagne à Saint Sébastien et on l'attend déjà. Car, après avoir savouré sa comédie pluvieuse, et comme Allen lui-même il ne faut jamais vivre dans le passé. Même si dans son film il réussit lors d'une scène au Metropolitan de New York une séquence qui peut faire penser le contraire :  Renoir est au premier plan. Pour le réalisateur le peintre reste irrésistible et son œuvre ignore le temps.
Ce sera peut-être le sort de celle d'Allen lui-même.
 

Jean-Paul Gavard-Perret
 

Woody Allen, Un jour de pluie à New-York

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