Clarice Lispector dans la troublante intimité des êtres

Dans le long monologue de La Passion selon G.H., une rencontre a priori anecdotique déclenche une transformation radicale de la vie de G.H., plasticienne presque anonymisée  vivant à Rio. Le cafard à moitié mort  qu'elle découvre au fond de l’armoire de son employée de maison crée  soudain une perte de repères et l'héroïne sombre dans les fonds abyssaux du doute et son flot de questions sur le sens de l’existence.

Clarice Lispector  propose une réflexion philosophique, un peu mystique et un plongeon magique dans la réalité de la vie au moment où la narratrice tente de nommer ce qui la détruit. Elle va essayer d'explorer et d'affirmer un sentiment de néant et de vide tout en comprenant soudain que chaque instant est un miracle, que la simple existence de quelque chose est la jouissance du sujet ?

G. H.  espère  mettre son flux de pensée à la hauteur des mots pour exprimer un magma intérieur. Il circule au gré des détails de la vie et de ces lignes qui se croisent sans jamais se confondre. Et l'auteure rejoint le rang des rares créatrices  et créateurs qui cernent en un monologue intérieur ce qui s'y distille de l'existence, de la mort.

A l'inverse du premier texte, dans L’heure de l’étoile, un homme "parle". Il est habité par une jeune fille issue de la misère du Nord-Est brésilien qu'il suit à Rio où elle meurt. Je jure que ce livre est écrit sans mots. C’est une photographie muette. Ce livre est un silence. Ce livre est une question, dit le narrateur qui fait de la jeune femme et de ce qu'elle a subi le miroir de ses  peurs. 
A la fois personnage et témoin il reste muet face à celle dont la présence s’impose progressivement dans ces pages : à savoir la mort. C'est elle qui éteint la lumière fugace de "L’Heure de l’étoile, l’heure à laquelle la morte  devient la "réalisation" de sa vie.

Moins puissant que La passion selon G.H., le livre écrit au masculin marque l'effort d'un homme à la fois  pour découvrir, derrière une femme à l'existence médiocre, un secret inviolable et pour trouver une pierre précieuse sous le trivial. Mais dans les deux livres de jeunesse, les quêtes restent celles de Clarice Lispector elle-même. S'y retrouvent ses interrogations sur le sens de sa vie et sa hantise de la mort.
Avec la plus belle des femmes perdues comme avec le cafard kafkaïen tout devient une histoire de métamorphoses. Les "personnages" ressemblent  donc moins à des masques qu'à des points de fixations propres à habiter les gouffres intérieurs de l'auteure. Cent ans après  sa naissance Clarice Lispector demeure à ce titre une des pionnières de la littérature féministe ou tout simplement de la littérature.
 

Jean-Paul Gavard-Perret

Clarice Lispector, La passion selon G.H., L'heure de l'étoile et un livret illustré, éditions des Femmes - Antoinette Fouque, octobre 2020, 15 euros

Aucun commentaire pour ce contenu.