"Eleanor Roosevelt", une "femme de" atypique


Proposer une biographie d’Eleanor Roosevelt constitue un beau défi car l’histoire américaine est mal connue du grand public français (mis à part les innombrables et soporifiques parutions sur le couple Kennedy, à jamais mythifié dans l’inconscient collectif, à tort). Qu’une journaliste soit la première à se livrer à l’exercice, et non un historien, force par contre le critique - ancien de la Sorbonne - à froncer le sourcil. Une journaliste qui écrit l’histoire ? Diable ! Va-t-on glisser dans le people ? Cette fameuse mode, énervante et horripilante, qui ne consiste finalement à voir l’histoire que par le petit trou de la serrure, a-t-elle contaminé cet ouvrage ?

 

Une "femme de" atypique


Membre d’une vieille famille de l’élite new-yorkaise d’origine néerlandaise, Eleanor Roosevelt est née Roosevelt, puisqu’elle était issue d’une autre branche que celle de Franklin D. Roosevelt. Très tôt orpheline, marquée par l’alcoolisme et la déchéance d’un père qu’elle adorait, elle grandit dans une atmosphère proche des romans d’Edith Wharton, compassée et protégée, sous l’ombre tutélaire de son oncle Théodore, qui devient président en 1901. Un peu tenue à l’écart par sa famille et moquée pour un physique disgracieux, elle est envoyée  dans un pensionnat tenue par Marie Souvestre, pédagogue reconnue - et nimbée d’une réputation scandaleuse puisqu’elle avait eu une liaison avec une de ses élèves des années auparavant - dont l’enseignement permet à Eleanor de commencer à s’extraire du conformisme familial.  Elle rencontre son cousin et futur mari en 1902. Les deux jeunes gens tombent amoureux et finissent par se marier, malgré l’hostilité larvée de sa future belle-mère, en 1905. Rien ne distingue encore Eleanor à cette date de son milieu, dont ellepartage les préjugés de classe, y compris l’antisémitisme. Ce n’est que progressivement qu’elle en vient à s’intéresser à des causes "libérales" (au sens américain, donc de gauche au sens français),  au rang desquelles le droit de vote des femmes - là, sous l’influence de son mari. Pour mieux comprendre cette évolution, l’auteur suggère une explication "psychologisante" : la révélation de l’infidélité de son mari avec Lucy Mercer à la fin des années 10 aurait brisé les illusions d’Eleanor, qui aurait pris alors ses distances - physiques dans un premier temps - et aurait recherché la compagnie de personnes d’autres horizons. A noter en tout cas que la future première dame fréquente beaucoup de lesbiennes, ce qui fit gloser après coup le directeur du FBI, Hoover, un expert en la matière sans nul doute.


Elle restera en tout cas la partenaire politique et intellectuelle du futur président, frappé de poliomyélite et paraplégique. Féministe, elle prend le parti des plus pauvres et des minorités, des noirs particulièrement. Durantle New Deal, elle joue souvent un rôle d’aiguillon auprès de son mari, soucieux des équilibres politiques avec le congrès et les démocrates du sud. Elle l’influence ainsi pour faire abolir les discriminations à l’embauche des noirs dans les industries d’armement et FDR finit par nommer un général noir pendant la guerre. Après la guerre et la mort de son mari, Truman lui demande de faire partie de la délégation américaine à l’ONU et elle s’investit, travaille, fait entendre sa voix ; une voix qui continue de porter contre le maccarthysme des années cinquante et au sein du parti démocrate : en 1960, Kennedy ira quémander son soutien, à la fois en souvenirde son mari et aussi pour  ce qu’elle représente, la conscience morale du parti. Eleanor Roosevelt ou l’anti Jackie Kennedy…

 

Eleanor, un exemple pour les femmes du 21e siècle ?


Clairement, l’objectif du livre est de proposer un exemplum, un modèle à suivre pour les femmes d’aujourd’hui. C’est en ce sens qu’il faut à mon avis interpréter le billet enthousiaste que fit paraître l’actuelle première dame française dans ce livre : on attend d’ailleurs de voir, après ses tweets vaudevillesques, ce qu’elle retiendra du parcours d’Eleanor Roosevelt. Le rôle de first lady en tout cas est toujours difficile. Aux États-Unis, celle qui se rapprocha le plus d’elle fut Hilary Clinton, sans connaître sa popularité. Quant à leurs maris de présidents, ils se virent reprocher de ne pas savoir les tenir....


Il s’agit en définitive d’un bon livre, dans l’air du temps, bon complément à l’excellente biographie d’André Kaspi sur Franklin Delano Roosevelt, qui apporte aussi un éclairage nouveau sur le parcours de celui qui restera le plus grand président américain du vingtième siècle. Pas sûr qu’il aurait eu la même carrière sans elle…


Sylvain Bonnet


Claude-Catherine Kiejman, Eleanor Roosevelt, Tallandier, mai 2012, 256 pages, 22 €

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