Clément Marot (1495-1544), poète officiel de la cour de François Ier, précurseur de la Pléiade, mort en exil pour ses sympathies réformistes. Biographie de Clément Marot.

Les impertinents Épitres de Marot

N’allez surtout pas croire que la poésie est ennuyeuse. Même celle qui déboule des temps anciens. La poésie moderne n’est pas née au XXe siècle. Loin s’en faut ! Elle vit le jour sous la plume de François Villon. Et de l’illustre Clément Marot dont voici les Épîtres réhabilités, dirons-nous. Une nouvelle syntaxe plus accessible, moderne donc. Mais une lecture qui conserve la rime et le mètre.
Ainsi avec une orthographe d’aujourd’hui on parvient à ressentir toute la finesse de l’époque (XVIe)…

Traducteur d’Ovide, homme de cour et aventurier, Marot sera un jour en faveur, l’autre en prison. Pour finir en exil : il mourra à Turin en 1544, après avoir fui à Genève puis Venise. Coureur de jupons, bouffon du roi et contradicteur du pape. Cela fait beaucoup pour un seul homme. Mais s’attaquer à la réforme de l’Église entre deux histoires de cœur conduit souvent son homme au cachot. Cela lui laisse le temps d’écrire. Et rien ne l’arrête. Si bien que lire Marot, cela revient à assembler les images d’un poète de cour, à la fois héritier de Villon, frère en évangile de Calvin et compère de Panurge.
Cocktail explosif !

Puisqu’au partir de Paris, ce grand lieu,
On vous a dit trop rudement adieu,
Dire vous veux, malgré chacun languard,
À l’arriver doucement "Dieu vous gard",
Dieu vous gard donc, mes Dames tant poupines !
Qui vous fait mal ? Trouvez-vous des épines
En ces "Adieux" ? Ces beaux rhétoriqueurs
Ont-ils au vif touché vos petits cœurs ?
Croyez de vrai que le grand Lucifer
S’en chauffera un jour en son Enfer :
Car ce n’est point jeu de petits enfants
D’ainsi toucher vos honneurs triomphants.


Alchimiste du vers autant qu’orfèvre de la rime, Clément Marot sait faire varier tout au long des épitres la longueur de ces mètres selon ses destinataires. Et la visée de ses pièces. Il usera de la gravité du décasyllabe ou la retournera en parodie, voire la taillera en satire… De fait, la plasticité de l’épître permet au poète d’évoquer tous les sujets. Payer ses dettes de jeu, supplier pour un emploi, déclarer sa flamme, se moquer des courtisans, etc.
De fait, Marot impose une voix : la sienne. Tous les épîtres sont littéralement traversés par sa présence. Il est au centre de son œuvre. Et s’emploie à développer un grain de voix distinct et singulier. La parole marotique, familière, vise à assurer la présence d’une particularité sous-jacente au texte. Quitte à jouer aux devinettes pour mieux se faire reconnaître :

En mon vivant, n’après ma mort avec,
Prince royal, je n’entrouvris le bec
Pour vous prier. Or devinez qui est-ce
Qui maintenant en prend la hardiesse ?
Marot banni, Marot mis en recoi :
C’est lui, sans autre.


Mais derrière un je manifeste, c’est bien plutôt un nous qu’il faut entendre. Marot porte-parole des autres. Humaniste, Marot sait accomplir le devoir pour lequel on le paie sans transiger avec ses convictions.
Faire l’éloge du duc d’Alençon pendant la campagne de Hainaut (1521) ? Qu’à cela ne tienne : Marot y glissera l’odeur âcre du salpêtre pour rappeler aux puissants en quelle pitoyable misère la guerre a réduit les populations et la nature… La Sorbonne crie au scandale au prétexte que l’on aurait trouvé des livres hérétiques dans son cabinet de travail ? Hors de question de faire amende honorable malgré les premiers bûchers que l’on dresse. Marot s’en tient à sa liberté de poète : tout lire, tout dire.
Le poète, l'équilibriste d’entre les mondes.

Annabelle Hautecontre

Clément Marot, Les Épîtres, édition de Guillaume Berthon et Jean-Charles Monferran, Poésie/Gallimard, juillet 2021, 544 p.-, 11,30 €

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