Le retour de bâton de l'enfant-roi

Au retour d’une virée shopping, Kimmy et Sammy Diore (avec un e, même si leur mère aurait préféré le patronyme de son mari sans cette voyelle) jouent à cache-bas avec des amis de leur âge en bas de leur résidence.  En ce sombre soir de novembre, la petite fille de six ans disparaît. L’idée du rapt s’impose, la famille de l’enfant est connue. Kimmy et Sammy sont des influenceurs gérés de main de maître par Mélanie leur mère. 

La disparition a été précédée d’un énième  achat de chaussures filmé par la génitrice qui demande en direct à ses followers de l’aider à choisir entre trois paires dont les marques sont bien sûr mentionnées. Car tout dans la vie des deux bambins est filmé.
Ce qu’ils mangent, ce qu’ils achètent, les jouets, les objets qu’ils reçoivent en abondance, tout donne lieu à des « stories » effrayantes aux noms improbables : battles, unboxing, buy everything… Les enfants sont parfois lâchés dans un supermarché où ils doivent rafler  tout ce qui est jaune ou rouge ou commence par un F sous l’œil de la caméra maternelle.
Parfois heureux, souvent las, ils se prêtent à cette consommation effrénée et absurde avec plus ou moins de bonne grâce. La lassitude se lit parfois sur les traits de Kimmy qui mesure avec son jugement d’enfant que sa vie n’est pas celle de ses camarades.

Clara Roussel, l’enquêtrice de la police découvre avec le lecteur pantois, ce monde au mercantilisme absurde dans lequel seul l’acte d’acheter ou de recevoir des cadeaux importe.
Delphine de Vigan avec la lucidité qui est la sienne décrypte les dangers de l’univers des enfants-influenceurs, du voyeurisme  et des ravages  occasionnés : comment se construire quand on est scruté   vingt quatre heures sur vingt quatre et que tous ses désirs sont des ordres ? 
Derrière les écrans, Marques, et pédophiles sont à la fête et qu’importe l’avenir des petits, qui immanquablement grandissent, ce que n’avait pas prévu la ménagère, toute à sa joie consumériste. 
Malheureusement pour elle, Instagram qui n’oublie rien lui rendra la monnaie de sa pièce quelques années plus tard.

Entre policier et anticipation, l’auteure explore les dérives d’une mode récente où le vide de l’achat compulsif et du narcissisme a pris le pas sur l’humain et d’une autre plus intemporelle de la mère qui ayant raté sa vie (en l’occurrence, celle  de star de téléréalité) réalise ses rêves à travers  et aux dépends de ses enfants. 
Glaçant et remarquablement construit, ce roman ouvre les portes de la cage dorée des réseaux sociaux dans laquelle se construit un monde barbare sans culture ni mémoire.


Brigit Bontour

 

Delphine de Vigan, Les enfants sont rois, Gallimard, mars 2021, 347p.-, 20 €
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