Laurent Binet, "Rien ne se passe comme prévu" : Un Bobo chez les socialos

Déjà, j’avais eu du mal avec HHhH. Le thème – l’assassinat d’Heydrich – était intéressant, certes, tout comme l’angle d’approche du livre, avec ce jeu permanent entre velléités romanesques et objectivité historique. Mais le style relâché de Binet, ses commentaires creux, son besoin de toujours tout ramener à sa petite personne, tout cela participait à rendre le livre passablement déplaisant*. Ce qui ne l’a pas empêché de connaître la réussite que l’on sait (Goncourt du premier roman). Comme quoi…

 

Quand j’ai su que l’auteur allait consacrer son nouveau livre à la campagne présidentielle de François Hollande – qu’il avait pu suivre d’assez près pendant six mois –, je me suis dit qu’il tenait là encore, potentiellement, le sujet d’un bon bouquin… à condition qu’il ne le pourrisse pas, une fois de plus, avec sa nonchalance et son nombrilisme. Malheureusement, c’est pourtant ce qui est advenu.

 

Introduit dans le cercle privé de François Hollande par Valérie Trierweiler en personne, Laurent Binet a pu bénéficier, lors de la dernière campagne présidentielle, d’un poste d’observation de premier ordre. Il a pu côtoyer tous les dignitaires du Parti socialiste, flâner dans les coulisses, soulever les rideaux, fureter à droite à gauche (enfin, surtout à gauche). Et de cette magnifique opportunité qui lui était offerte de nous rapporter un témoignage fort et documenté sur les arrière-cuisines du pouvoir, qu’en a-t-il fait ? Rien, ou presque.

 

Enfin, quand je dis « rien », c’est à peine exact, car Binet a pour sa part bien profité de cette période. Il a pu jouer les VIP, grimper dans des jets privés, manger des petits fours, boire du champagne… Il a aussi pu approcher plein de gens influents et se constituer un joli carnet d’adresses dont le faux naïf qu’il est saura sans aucun doute faire bon usage, dans les années à venir.

 

Pour le lecteur, par contre, la cueillette est plus décevante. Car qu’apprenons-nous dans Rien ne se passe comme prévu ? Pas grand-chose, hélas. Que faire de la politique, ce n’est pas toujours facile, qu’il y a parfois de l’hypocrisie dans les rapports humains, qu’entre eux, les hommes politiques peuvent plaisanter ou que les journalistes ne sont pas toujours objectifs… En voilà des scoops ! On sent bien que l’auteur, sans doute soucieux de ne pas froisser ses nouveaux amis, n’a pas voulu en dire trop : il pouvait difficilement faire moins. L’essentiel de son livre est finalement constitué de retranscriptions de dialogues et de bribes de discussions, le tout entrecoupé de petites digressions plutôt triviales qui n’apportent rien au sujet.

 

Le plus affligeant, c’est l’absence totale d’esprit critique dont fait preuve Binet. Il ne cherche pas à comprendre ce qu’il vit, ce qu’il voit, il n’analyse pas. Il n’a rien à démontrer, rien à démonter : il semble n’avoir aucune conviction, aucune opinion digne de ce nom. Il est juste là. Il observe et il jouit du moment. Il nous parle beaucoup de lui, nous donne des nouvelles de sa petite personne, des avions qu’il a failli rater, de ses cafés pris avec les journalistes. C’est trop peu. Il nous explique qu’il a choisi un candidat de gauche parce que son père est communiste, mais on sent bien que cette explication tient plus d’une forme de snobisme qu’autre chose et qu’il aurait pu suivre, sans difficulté, n’importe quel autre candidat, même de droite.

 

Binet semble en fait n’avoir aucune conscience politique – et encore moins une conscience de gauche. D’ailleurs, tout au long de son livre, on comprend bien qu’au fond, il n’en a rien à faire des gens qu’il croise, des ouvriers, des jeunes de banlieues, des femmes voilées, de la misère, de la souffrance, des drames qui se jouent tout autour de lui, en cette période de crise économique. Il traverse tout cela avec le même air réjoui que s’il visitait pour la première fois le Parc Astérix. C’est affligeant. Seul le sort de l’Éducation nationale semble intéresser un peu encore l’ancien prof qui sommeille en lui. Et encore…

 

Un livre décevant donc, vide, inutile, de plus écrit sans soin, dans une langue relâchée, molle. L’auteur n’a visiblement trouvé aucun plaisir à l’écrire… et le lecteur n’en ressent guère plus à le lire !

 

Stéphane Beau

 

Laurent Binet, Rien ne se passe comme prévu, Grasset, août 2012, 307 pages, 17 €

 

* J’ai écrit ici le peu de bien que je pense de HHhH.

 

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