Avocat, écrivain, auteur de polars et d'essais sur la justice.

Dominique Inchauspé, Un homme dans l’Empire : Un frère de Maldoror ?

Quel Empire ? Mystère : ni Maillente ni Larguethuse ni le Pays Terlare ne figurent sur aucun atlas. Quand ? Il y a un siècle, semble-t-il. La langue châtiée évoque Stendhal. Qui est cet homme ? Un militaire, Lertère Varlien, soldat de métier dans un pays qui semble toujours en guerre, tantôt contre les barbares des Provinces Archaïques, tantôt contre ceux du Pays Terlare ou d’autres contrées. Les descriptions de ses campagnes occupent une bonne part de ces lettres, qui ressemblent de près à un journal intime. Elles sont détaillées et parfois effrayantes dans leur peinture de la cruauté, mais Varlien n’en semble pas toujours indigné. Certaines considérations sur la cruauté donnent à penser que Varlien la tient pour une dimension ordinaire de ce qu’il est convenu d’appeler « la nature humaine ».

 

Non, il n’est pas un penseur critique, un intellectuel bardé de théories, il n’en a pas le  loisir, en témoignent celles de ses lettres qui portent, non sur les canons et les massacres de rebelles dans les bois, mais sur ses rapports avec ses destinataires : deux femmes. Toutes deux sont belles et se donnent à lui. Il décrit ses relations avec elles. La première est Eysielle. Il lui raconte comment une nuit, alors qu’aucun nuage ne pesait sur leur ciel, il éprouva pour elle, alors qu’elle se déshabillait, un fatal désintérêt puis un dégoût. Il évoque la trop grande commodité que leur mariage eût valu à la famille de la mal-aimée. Car les mariages sont plus souvent qu’on croit ceux de clans sociaux plutôt que ceux d’individus. Le sentiment d’être un pion dans les desseins des autres peut alors susciter des réactions de rejet. Le destin réserve à Lertère une autre amoureuse, Vélia. Il lui confie jour après jour ses états d’âme. Il le fera jusqu’au terme de ses jours, et de leur mariage. Car il désaimera aussi Vélia.

 

L’homme est, en effet, aussi mystérieux que l’Empire qu’il sert. « Je ne sais plus ce qu’est l’amour pour moi, écrira-t-il. En tout cas il n’emplit pas ma vie. » C’est le trait saillant du personnage ténébreux campé par Dominique Inchauspé : il ne sait pas aimer. Si l’on s’arrogeait le droit de juger, on le taxerait d’illettrisme amoureux : il utilise, en effet, des mots frelatés tels que « véritable amour », ce qui indique qu’il n’a jamais réfléchi à leur sens ; quel est donc le canon de cet amour idéal ? Ce frère de Maldoror avait forcé notre sympathie, mais le voilà qui se révèle atteint de ce qui passerait aisément pour une maladie répugnante, l’incapacité d’amour. Le rejetterons-nous ? Ce serait périlleux : il nous ressemble tant qu’il a dressé notre dossier d’instruction en même temps que le sien. Il demeurera dans la mémoire, comme une apparition énigmatique, bien plus discret que le Commandeur.

 

On n’eût pas été surpris que ce roman eût été annoncé comme un inédit de Julien Gracq ou de Julien Green, peut-être d’Alberto Moravia. Non, il est d’un vivant. Il demeure dans la mémoire.

 

Gerald Messadié

 

Dominique Inchauspé, Un homme dans l’Empire, L’Âge d’Homme, novembre 2013, 200 pages, 19 €

 

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