Lettres à une jeune pianiste, l'art selon Gidon Kremer

Parmi les très grands violonistes, Gidon Kremer a ceci de particulier qu'il a conservé toute sa vie une manière de simplicité qui non seulement lui a permis de suivre un chemin artistique en toute liberté mais lui a ouvert à des émotions musicales rares. Dans une discussion imaginaire et à sens unique avec une jeune pianiste virtuose il expose sa conception de l'art et de la vie, met en garde sa "disciple" contre les attraits d'une gloire trop fidèle aux attentes d'un marché.

« Ces "stars" [i. e. André Rieu] substituent la notion de "masse" à celle d'"art" et trahissent par là leur talent. »

C'est donc une leçon, bien modeste, de savoir-vivre avec son art que propose Kremer, comme jadis Rilke auquel on ne peut que penser (1). Une leçon magistrale parce qu'elle est nourrie de l'incroyable carrière du maître et de sa disponibilité entière à sa jeune amie dont il craint qu'elle ne perde son talent dans la course folle à la reconnaissance et aux engagements. Alors, avec une très paternelle attention, il ne fait rien, sinon lui montrer qu'il y a plusieurs chemin et que le plus riche n'est pas forcément le plus lumineux. 

« Une idole peut très facilement devenir un spectre »

Kremer met également en garde contre les idoles, aussi lumineuses soient-elles, car c'est également emprunter un autre chemin que le sien. Aussi bien ni par goût du succès immédiat et flamboyant, ni par admiration d'un vrai maître, il ne faut se laisser détourner de son propre rapport à l'art. « Personne ne peut décider à votre place de ce que vous voulez exprimer » et de citer aussi bien Martha Arguerich ou Miles Davis qui ont imposé leur propre sonorités.

Un bel exercice de transmission non pas d'une technique, non pas d'un art, mais d'une manière de se tenir droit devant ses propres exigences. L'art est au-dessus des lois du marché, des modes, des envies de certains producteurs. On peut être un excellent instrumentiste et ne s'en apercevoir jamais. L'art est autre chose, est au-delà, c'est une mise à disposition totale de sa maîtrise technique pour l'expression d'émotions personnelles et simples. Grande leçon d'un maître.

Loïc Di Stefano

Gidon Kremer, Lettres à une jeune pianiste, L'Arche, 78 pages, 13 euros


(1) Kremer en effet postule que « Chacun de nous doit avancer sur son propre chemin, faire ses erreurs, rencontrer ses succès » quand Rilke proposait déjà « Il n’est qu’un seul chemin. Entrez dans vous-même ». 
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