Marina A : mon corps ma bataille

L’art est-il utile, beau, politique, porteur de sens… on peut gloser longtemps puisque toutes les réponses se télescopent selon ce que l’on attend de l’art, ainsi les dérives s’invitent sous l’appellation, avec ou sans guillemets, et l’on a désormais inscrit au catalogue la performance, même la plus démente (Costes se masturbant sur scène prétend que c’est de l’art) : c'est aussi ridicule que le hip-hop au JO, pourtant il y en aura à Paris, en 2024. Bientôt la belote aussi ?
Paul Gacher, chirurgien orthopédiste, découvre donc l’œuvre de Marina Abramović lors d'un voyage familial à Florence et soudain qu’il est, lui aussi, malgré sa carapace de médecin, un animal dénaturé (Vercors), un égoïste bienpensant. Monsieur-tout-le-monde, finalement, qui aspire à être tranquille, s’occupe des siens et laisse aux gouvernants les affaires de la cité, quoi de plus normal puisqu’ils se battent à mort pour avoir le pouvoir : à eux de savoir gérer…
Jadis on enferma Van Gogh et Artaud, aujourd’hui on vénère Marina Abramović, la question est intéressante : agit-elle comme les Marseillais à Cancun et autres supports vides de tout ce qui fait la culture pour détourner les foules du sens renié et assumé par la société actuelle ? Ou, au contraire, est-elle un révélateur dans la grisaille intellectuelle qui noie tout le monde sous le woke ? Est-ce de l’art ou l’expression d’une folie destructrice cachée sous la quête d’une réponse/découverte soudaine que le mal est en tout Homme ?
Au lieu de se massacrer le corps, il suffit de suivre l’Histoire et, par exemple, lire Serge André (Le sens de l’Holocauste : jouissance et sacrifice). Sa mère se demanda s’il aurait fallu enfermer sa fille dès ses premières tentatives de performance ; la réponse est oui. Elle a beau nommer cela body art, il n’y a rien d’artistique à se gifler (avec son amant) à se flageller, s’ouvrir le ventre avec une lame de rasoir ou se laisser maltraiter par le public sous prétexte que l’on est, pendant six heures, considérée comme un simple objet…
Si le texte est bien écrit et partait sur de bonnes bases, offrant une découverte en douceur des horreurs réalisées par l'artiste, il reste nonobstant un petit goût d’amertume qui aura imprégné la lecture car Fottorino ne put s’empêcher d’être dans le woke, distillant ici et là une phrase inappropriée et hors sujet pour démontrer son intérêt sur le partage des tâches domestiques entre un homme et une femme – pardon, un être ayant des menstrues, comme il faut désormais dire si l'on ne veut pas être lyncher par les hyènes de garde sur la Toile – comme quoi sa question sur la pince à ongles serait déplacée car ce n’est pas parce que Maud est une femme qu’elle doit savoir obligatoirement où se trouve ladite (sic) ; idem pour le fait qu’il paresse dans la compréhension de l’anglais puisque son épouse est bilingue – quel rapport ? ; plus une petite tirade toute aussi inutile sur les gentils migrants qui viennent mourir chez nous au terme d’un périple dangereux… Mouton bienpensant, Fottorino perd son sujet et regarde son nombril, bien sinistre d'ailleurs car il semble plus ému par le sort réservé à une ancienne esclave noire dont la statue fait polémique que deux de ses amis qui se sont suicidés pendant le confinement, ce qui en dit long… lequel fut suivi à la lettre sans même évoquer les incohérences et les absurdités qui ont pavé le long chemin sécuritaire car le narrateur se veut un bon élève… mais fallait-il convoquer The Square et Marina Abramović pour écrire un livre sur la haine de soi ?
On aimerait qu’un éditeur ou deux osent enfin sonner la fin de la partie pour rappeler aux auteurs de ne pas digresser inutilement en ouvrant les portes de l’idéologie dominante.
Parenthèse inutile donc que ce roman en cette rentrée pourtant riche en livres de qualité, je retourne donc au tome 2 de la Recherche, autrement plus passionnant…

François Xavier

Éric Fottorino, Marina A., Folio, août 2022, 192 p.-, 7,80€
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