Agnès Giard, "Dictionnaire de l’amour et du Plaisir au Japon" : le japon intime dévoilé

Agnès Giard est écrivain, journaliste et sociologue spécialiste du Japon et des contre-cultures. Bien connue pour son blog sur Libération « Les 400 culs », sa notoriété va bien au-delà des choses du sexe. Agnès Giard est un puits de science sur la société japonaise, sa culture populaire et son monde déroutant des symboles et des mythes. Ses ouvrages connaissent un grand succès au Japon et même sans attirance particulière pour l’Asie, il faut au moins par curiosité la laisser nous initier à l’Amour et au Plaisir japonais, parcourir dans ce beau dictionnaire 300 entrées de nipponeries étonnantes qui nous changent de nos gauloiseries occidentales.

 

L’imaginaire érotique japonais fait jeu de tout, du paraître comme de l’intime, des us et coutumes ancestrales comme des modes actuelles. Mais avant tout, le désir et le sexe, bien au-delà de la baise, s’attachent à exprimer les émotions des partenaires. Le corps est célébré comme un dieu "parce qu’il doit être considéré comme l’incarnation du sacré".

 

L’ouvrage est organisé en six chapitres : le corps : comme un rocher ;  la beauté : tristesse et secrets ;  le fantastique : éloge de l’ombre ;  l’amour : du premier baiser au dernier adieu ; la sexualité : vagin-pieuvre, visage d’orage, pénis cosmique ;  l’industrie du sexe : l’imagination au pouvoir. Chaque chapitre décline ses mots clefs. Ainsi le corps se compose des entrées sperme, cyprine, nez, pénis, vagin, péché, menstrues, clitoris, gland, testicules, os. Quant à la beauté, elle explore le secret, le déshabillage, la nudité, la peau, l’expressivité, l’œil, la tristesse, le voyeurisme, le tatouage

 

Bref, la balade prend les chemins de traverse. Ne vous attendez pas à un exposé des comportements, des statistiques, qui fait quoi, où et comment. Non rien de tel, mais des explications sur ce qui trame le désir érotique et la relation homme/femme.

 

Les pages du mot borgne par exemple nous font comprendre pourquoi les Japonaises lors de fellations, notamment dans les vidéos pornos, se cachent un œil avec un pansement. Cette façon de faire évoque la fêlure, le secret, la blessure, le regard tourné vers l’intérieur, l’illusion d’intime proximité. La femme fait éjaculer l’homme dans sa bouche, son seul œil levé vers lui. Cette pratique fait écho à une notion fondamentale de l’ura, mot qui signifie ce qui est tu, caché, secret. Ce qui n’est pas formulé explicitement est cultivé par les Japonais et c’est une composante de leur érotisme.

 

Une superbe iconographie, dont on regrettera quand même qu’elle ne soit pas toujours commentée, témoigne de l’importance des émotions et des objets. Même si beaucoup ne sont pas spécifiquement du registre érotique, les photos, dessins, affiches, captures de films, qu’ils soient anciens ou modernes, voire underground, n’épargnent la plupart du temps pas la pudeur. Ils sont parfois trash et très pornographiques, mais si déroutants qu’ils obligent le lecteur à aller au-delà. Ce n’est pas de la simple imagerie décorative, chaque illustration raconte quelque chose de troublant et de signifiant. On revient sans se lasser, les interroger encore et encore parce qu’elles laissent en nous leur écho. Je détecte même dans les plus obscènes de la poésie, ma façon occidentale sans doute de dire l’émotion ressentie.

 

Bien sûr ce livre séduira tous les lecteurs épris d’érotisme. Mais le dictionnaire de l’amour et du plaisir au Japon est beaucoup plus qu’un simple dictionnaire. C’est un magnifique livre de culture générale enthousiasmant qui intéressera tout public parce qu’il ne parle pas que de sexe, il raconte aussi le japon d’hier et d’aujourd’hui, et les sentiments qui animent les Japonais et les Japonaises.

 

Anne Bert

 

Agnès Giard, Dictionnaire de l’amour et du plaisir au Japon, illustrations de Yoshitaka Amano, Gentaro Araki, Keiryu Asakura, Éditions Drugstore, 2008, 353 pages, 35,50 €

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