Les Enfances de Charlemagne, de Rémi Usseil : Une éblouissante plongée en plein Moyen-âge

Il est des clichés qui ont la vie dure. Ainsi l’image, encore largement répandue, d’un Moyen-âge monolithique et obscurantiste. Les merveilles de nos cathédrales parvenues jusqu’à nous, les vestiges des châteaux qui laissent encore deviner les hardiesses de leurs architectures, autant de témoignages qui n’entament pas une vision manichéenne composée de stéréotypes : le serf misérable attaché à la glèbe, la nourrissant de sa sueur et de son sang, pendant que le méchant seigneur occupait ses loisirs à chasser et guerroyer, exerçant au passage l’inique droit de cuissage. L’emprise sans partage du clergé sur toutes les couches de la société, avec ses richesses insolentes et ses moines inévitablement paillards. Bref, une société foncièrement inégalitaire – horresco referens ! –, fondée sur l’ignorance et la superstition, mais aussi sur des valeurs bien obsolètes aujourd’hui, la fidélité, l’honneur, le respect de la parole donnée. Une société dont les fondements ont subsisté jusqu’aux Lumières. Jusqu’à l’avènement de la Raison, enfin victorieuse des ténèbres.

 

Telle est, grosso modo, la légende colportée, au fil des générations, avec le concours actif des auteurs de manuels d’histoire, relayés par les « hussards noirs de la République », apôtres patentés du progrès. Croisés, si l’on ose dire, de la bonne cause. Un simplisme qui ne résiste guère à l’analyse. C’est ainsi, par exemple, que le prétendu esclavage auquel étaient soumises les femmes est un de ces dogmes qu’il serait malséant de remettre en cause. Fût-il démenti par la civilisation occitane du douzième siècle où florissait la fin’amor, cet amour courtois que les féministes de tout poil se gardent bien d’évoquer. Comme, du reste, tout ce qui tendrait à prouver qu’en matière de barbarie, nous n’avons rien à envier aux époques qui nous ont précédés…

 

Seuls quelques personnages échappent à cet opprobre général. Parmi eux, Charlemagne, l’empereur à la barbe fleurie. Rien ne vient entacher sa gloire universelle. Pourtant, ce roi guerrier s’il en fut onc pourrait à lui seul incarner tout ce qui mérite d’être honni : la féodalité, l’impérialisme colonisateur, la cruauté que révèlent annales et chroniques du temps. Voire une piété naïve. Autant de traits caractéristiques des pires dictateurs.

 

Ce sont pourtant les éléments positifs qui ont prévalu et, au premier chef, la légende qui en fait l’inventeur de l’école, titre de gloire qui n’est sans doute pas dénué de tout fondement et demeure, en tout cas, ancré dans l’esprit du grand public. Très loin de l’école laïque et obligatoire, certes. Mais enfin, il faut un commencement à tout. 

 

Un héros idéal pour la littérature médiévale, singulièrement les chansons de geste dont la vitalité est attestée sur quelque quatre siècles, avant que les récits courtois ne les supplantent dans les goûts du public. Il apparaît dans nombre d’entre elles, dont l’une des plus célèbres, la Chanson de Roland, écrite au XIe siècle. Elle constitue un exemple caractéristique de l’étroite imbrication entre l’histoire et la légende.

 

C’est dans ce matériau dont la richesse a rarement été aussi finement exploitée que puise Rémi Usseil pour renouveler l’actualité du roi Charles. Sous le titre Les Enfances de Charlemagne, dont le titre évoque d’emblée Les Enfances du Cid du dramaturge espagnol Guillén de Castro, inspirateur de Corneille, il reconstitue le véritable roman d’aventure que lui inspire la jeunesse du futur empereur. Si ce dernier conserve ses caractéristiques essentielles, telles que les ont figées tous les récits où il apparaît, il acquiert, sous la plume de son « historiographe », une densité, voire une complexité de caractère qui en fait un héros fort attachant. Armé chevalier, avide de gloire guerrière, il s’y révèle toutefois vulnérable et, en particulier, sensible au charme féminin. Tombé sous le charme de la belle Galienne, il devra, pour la conquérir, triompher de maintes épreuves. Pour finir, il reprendra aux félons qui s’en sont emparé le royaume de France dont il est le légitime souverain.

 

Ainsi Rémi Usseil tempère-t-il la rudesse des cycles de chevalerie en y introduisant les éléments sentimentaux du roman courtois, offrant une sorte de panorama de la littérature médiévale. Et cette manière de synthèse se révèle d’autant plus convaincante, et séduisante, que la forme épouse le fond.  Non seulement il réussit à se couler dans l’esprit du Moyen-âge dont il possède une connaissance approfondie, mais il en adopte les techniques narratives. Il en maîtrise toutes les formes poétiques, entremêlant sa prose et les laisses, ces strophes assonancées caractéristiques de la poésie médiévale.

 

Dans une copieuse introduction dont l’aimable érudition a de quoi laisser pantois, l’auteur replace son projet dans le genre littéraire des « Enfances », dont nous sont parvenus de nombreux exemples (Enfances Ogier, Enfances Guillaume et autres Enfances Garin de Monglane). Il justifie l’entreprise qui contrevient aux conseils d’Eginhard, biographe de Charles, lequel déclare « insensé, faute de sources, d’écrire à ce sujet ». Or, les fondements que l’Histoire refuse à Rémi Usseil, la légende les lui fournit à profusion. Quant au reste, il l’invente. Il serait malaisé de découvrir la moindre couture entre les données de la tradition et celles qu’il tire de sa propre imagination. D’où ce beau livre à la riche iconographie. Un glossaire des termes désuets et médiévaux utilisés en rend la lecture facile, une bibliographie sélective permet d’en élargir le contexte. Un cadeau idéal pour petits et grands, en ces temps d’étrennes qui se profilent.

 

Jacques Aboucaya

 

Rémi Usseil, Les Enfances de Charlemagne, Les Belles Lettres, novembre 2016, 448 p., 35 €

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1 commentaire

John Doe

Lu le livre, remarquable !