À propos de Contre l’Écologisme, de Bruno Durieux : Lettre ouverte au ministre de la transition écologique et solidaire

Monsieur le Ministre,

La délation n’est pas mon fort. Mais enfin, je n’oserais me regarder dans un miroir si, passant outre ma nature et mes principes, je ne me comportais pas aujourd’hui en citoyen conscient, organisé et responsable. Je devrais dire éco-responsable, ce vocable nouveau ayant fait une entrée fracassante dans le PLF (paysage linguistique français). D’où cette missive destinée à porter à votre connaissance des agissements inqualifiables. Ils méritent d’être sanctionnés avec une extrême rigueur. Faute de quoi, à l’instar des mauvaises herbes dans les champs demeurés en jachère, les idées pernicieuses se propageraient sans retenue. Car, comme l’affirme un sage, Alfred Jarry ou Alphonse Allais, les avis divergent sur ce point, « passées les bornes, il n’y a plus de limites ». Or les bornes ont été franchies. Sans vergogne. Avec une assurance nonpareille. Une impudence défiant la doxaen vigueur dans notre pays et que vos fonctions officielles vous font un devoir de promouvoir et de défendre.

Franchies par qui, ces limites ? Par un individu assurément peu recommandable, un certain Bruno Durieux, agissant avec la complicité d’un éditeur dont la réputation de sérieux ne saurait sortir indemne d’un tel forfait. Du reste, son passé, des plus douteux, ne plaide pas en faveur de ce Bruno Durieux : conseiller, de 1976 à 1981, au cabinet de Raymond Barre, député de 1986 à 1994, il a en outre assumé, entre 1990 et 1993, les fonctions de ministre, de la Santé, puis du Commerce extérieur. C’est assez dire que ses options politiques ne sauraient valoir à ce polytechnicien, actuel maire de Grignan, dans la Drôme, la moindre indulgence. « Nourri dans le sérail, j’en connais les détours », pourrait-il affirmer à l’instar du héros de Racine. Complice d’un système qui s’est, durant des lustres, soucié de l’écologie comme d’une guigne, il publie aujourd’hui un livre que la poussée des Verts aux dernières Européennes place au cœur de l’actualité : Contre l’Écologisme.

Qu’est-ce donc que Bruno Durieux appelle l’écologisme ? A ses yeux, une doctrine totalitaire. Intolérante. Qui joue sur les peurs et la compassion bêlante. Sur le sentiment de culpabilité. La frénésie de repentance. Travestit, au besoin, la réalité pour asseoir son emprise. En somme, un nouveau millénarisme. Un « hyper-malthusianisme contemporain ». Rien à voir, à l’en croire, avec la véritable écologie dont il a l’audace de se réclamer. Des propos – vous en conviendrez, Monsieur le Ministre – à faire verdir de fureur les bonnes consciences patentées. Dûment estampillées. Promptes à jeter l’anathème sur quiconque se permettrait de risquer le moindre doute sur l’imminence de la fin du monde et la responsabilité, en ce domaine, des ignobles pollueurs et exploiteurs que nous sommes. Capables d’ironiser sur la vogue du véganisme. D’en fustiger les prétendus excès. Bref, de tourner en dérision une auto-flagellation généralisée, seule capable, comme vous le savez, de nous réconcilier avec la Nature.

Vous savez comme moi qu’on ne peut rire de tout. Surtout à notre époque. Surtout à propos de l’Écologie (béni soit son nom). Or, et c’est tout le danger de cet ouvrage, à aucun moment l’auteur ne se laisse aller jusqu’au sacrilège. Trop roué pour cela. Ou trop prudent. Il ne verse jamais dans le pamphlet. Il décrypte les sources de ce qu’il tient pour une idéologie despotique. En commente l’essor. Analyse, démonte ce qu’il prétend n’être qu’argumentation biaisée, voire mensongère. Dénonce ce qu’il appelle l’« hégémoniemédiatique », écrasante, à l’en croire, dont bénéficieraient les suppôts de l’écologisme. 

Pis encore, il affiche, au nom de la véritable écologie dont il a l’audace de se réclamer, des convictions inavouables. Ainsi, loin de croire à la panacée de la décroissance, il prône, à l’inverse, une productivité accrue, seule voie de salut pour les dix milliards d’individus qui peuplent la planète. Non seulement il l’affirme, mais il le démontre. Avec la rigueur de quelqu’un qui connaît son sujet. 

C’est précisément ce qui rend cet essai intolérable. Dangereux en ce qu’il récuse des dogmes intangibles qu’il ne viendrait à personne l’idée de contester, sauf à passer pour un affreux, un réac et un pue-de-la-gueule.. Un blasphème irrémissible. Vous en conviendrez, Monsieur le Ministre : fermer les yeux sur de tels agissements, tolérer qu’un ouvrage aussi pernicieux puisse semer le doute chez des lecteurs (voire des électeurs) abusés, voilà qui mettrait en danger la cause que vous êtes chargé de défendre. Parlons clair, ce réquisitoire précis, souvent convaincant – et d’autant plus dangereux pour la pensée calibrée, formatée, si nécessaire à l’ordre public – ce réquisitoire, donc, serait en mesure de mettre en péril la lutte pour l’environnement, la transition énergétique sue vous incarnez, contre l’effronterie des bouchers-charcutiers et le réchauffement climatique, les gaz à effet de serre, le trou dans la couche d’ozone, et j’en passe. En un mot, la mort programmée de la planète entière. Voilà pourquoi je vous conjure de mettre au plus tôt hors d’état de nuire un auteur aussi subversif et d’organiser sans tarder un autodafé pour cet essai dont les conséquences catastrophiques ne sont, hélas, que trop prévisibles.   

Dans cette attente, je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, à mes sentiments indignés, citoyens et écologiques,

Jacques Aboucaya

Bruno Durieux, Contre l’Écologismede Fallois, avril 2019, 264 p., 18,50 €

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