Le Sceptre de Dieu, d’André Journo : un thriller comme un plaidoyer pour la tolérance

 

Le succès des thrillers n’est plus à démontrer, il suffit de consulter la bibliographie extrêmement abondante, surtout dans l’univers romanesque anglo-saxon très friand pour ce genre de littérature qui s’accommode facilement avec l’épithète de best-seller, en usant de ce baromètre pour justifier son succès auprès de son très nombreux public de fans et de lecteurs inconditionnels.


Pour ces lecteurs, ce genre littéraire n’a plus rien à cacher ni en ce qui concerne les codes ni la thématique construite à l’aide des personnages choisis parmi des espions, des policiers, des assassins et des terroristes, mais aussi des innocents ou des gens ordinaires qui voient leur vie changer en un instant d'extrême tension narrative, faite de suspens, de peur et de danger.

 

Parmi les sources d’inspiration qui s’y prêtent à merveille à ce genre littéraire il faut mettre à l’honneur l’ésotérisme et le religieux, deux mondes peuplés de codes et de mystères capables de toucher nos questionnements les plus anciens et nos peurs ancestrales. À cela se rajoute l’intérêt pour une intrigue qui s’insinue dans les pages des livres sacrés et arrive à déchiffrer ce que seul un lecteur avisé, un spécialiste, un sage, un bibliste ou un rabbin sont à même de faire, souvent au prix de lourds sacrifices ou de privations, voire de leur vie.  

 

S’inscrivant dans cette veine, le roman « Le Sceptre de Dieu » d’André Journo construit son intrigue autour de l’existence du sceptre tout-puissant que Dieu de la Torah donna à Moïse durant la traversée du désert. Fin connaisseur de la Bible, de la Torah et du Coran, les Livres des trois religions monothéistes, l’auteur profite de cette intrigue pour conduire ses lecteurs sur des sentiers essentiels dans la connaissance de ces religions et des liens de vie et de spiritualité communes qui ont forgé les liens entre ces peuples tout au long des millénaires. Il y a dans ce roman une volonté intrinsèque d’instruction, dans le sens noble d'éducation, concernant la richesse des religions et de leur syncrétisme, sans pour autant empiéter sur la narration qui profite de ces parenthèses  comme des respirations nécessaires à son dynamisme. Loin d’être d’ennuyeuses leçons d’histoire et de civilisation, ces interludes sont de vrais supports d’érudition qui accompagnent le lecteur de New York au Caire et sur le Mont Sinaï, à Grenade et à Rome, à la recherche d’éléments nécessaires pour résoudre le mystère précieusement gardé de ce très puissant sceptre qui donnerait à ceux qui le retrouveraient la force de dominer le monde. 


Mais n’anticipons pas.


Pour le moment, nous sommes à New York où Menahem Yanovski, Grand Rabbin de cette ville, est sauvagement assassiné par des inconnus qui ne laissent aucune trace pertinente qui pourrait justifier cet acte selon les codes de la police, ni cambriolage, ni ennemis personnels ni antisémitisme. Seule sa petite-fille, Tamara Yanovski, aura part à une réponse par le biais d’une lettre que son grand-père lui avait laissée dans le coffre d'une banque, et qui dévoile le vrai mobile de ce crime : le grand-père Menahem était en possession du secret de l’existence et du lieu où se trouve le sceptre de Moïse, cet objet capable de détruire Sodome et Gomohrre, de séparer en deux la mer et de punir les Egyptiens du pharaon par les dix plaies. Une vraie bombe atomique, dirions-nous aujourd'hui. Sauf que d'autres personnes et milieux sont sur les traces du même objet. La preuve c'est qu'ils ont assassiné le Grand Rabbin Menahem Yanovski pour cela.


C’est donc à Tamara de partir sur les traces de cet objet qui, tombé entre les mains de ceux qui l’ont assassiné, pourrait détruire le monde. C’est le début d’un périple qui passe par le Caire, Rome, Grenade, Tel-Aviv, Sinaï, et qui va se dérouler selon le modèle des aventures à clefs, au gré des énigmes que l’héroïne aura à résoudre selon des indices cachés, en suivant les indications du défunt grand-père.


Cette impératif de poursuivre les recherches sur les traces de l’énigme est pour Tamara une garantie de survie devant la convoitise de ces groupes extrémistes, islamistes, d’abord, d’où provient l’assassin de Menahem Yanovski, mais aussi des cercles protestants américains radicalisés, qui veulent mettre la main sur le précieux objet qui leur donnerait le pouvoir sur le monde, et, enfin, des gens du Vatican qui font tout pour empêcher la découverte du sceptre sacré pour préserver l’humanité de toute domination malveillante.


Tamara ne sera pas seule dans ce voyage périlleux, elle est accompagnée par Alain, un policier aguerri, son protecteur et qui deviendra son amant, et qui finira par dévoiler à la fin sa vraie identité.


 Le mot d’ordre laissé par le grand-père à Tamara pour résoudre cette énigme est « ne te fie pas aux apparences […] utilise ton instinct plutôt que ton savoir », selon les conseils contenus dans la lettre laissée à Tamara par son grand-père.


Aller à l’essentiel suppose, dès lors, pour notre héroïne, s’abandonner à son intuition et aux signes parsemés tout au long de sa quête, tout en faisant appel avec intelligence et efficacité aux connaissances des Livres sacrés dépositaires des informations et qui serviront de balises historiques et spirituelles afin de retourner jusqu’au temps de la genèse des trois religions monothéistes et à leurs illustres représentants communs, Abraham/Ibrahim et Moïse/Musa. Encore une fois, de ce point de vue, celui de l’information historique et biblique, le livre d’André Journo mérite une appréciation élogieuse.


Mais ce périple n’aurait rien de romanesque, surtout d’un thriller, s’il était privé de sa source de suspens, si familier à son évolution. De ce point de vue, à chaque moment-clef, le schéma narratif se déroule selon des codes identiques, propres, comme nous le disions, à ce genre de romans: premiers pas vers la résolution de l’énigme, exigence de garder le secret et de détourner l’attention sur le vrai but de la quête, échec et découragement des protagonistes, intervention violente des individus et des groupes criminels qui les suivent à la trace et qui veulent les tuer, dénouement miraculeux des personnages sauvés in extremis.


Mais la vraie résolution de cette énigme ne réside pas seulement dans ces détails, mais aussi par ce lien si particulier qui relie l'individu à sa croyance, démarche que l'on appelle la foi et avec laquelle les personnages investissent cette recherche, tout en sachant que trouver le  sceptre resterait sans effet en absence de l’Elu(e) sans qui cette découverte perdrait son autorité et son effet.


C’est en cela que consiste ce que nous pourrions appeler la valeur ajouté  de ce récit, dans sa substance spirituelle et, disons-le, mystique. Et cela dans la mesure où cette recherche conduit les personnages à retrouver leur identité et une place qui leur est destinée en relation avec un projet que seul un pouvoir supérieur (Dieu/Allah/Le Messie) détient, en vertu d’un droit sacré et caché/interdit aux hommes, mais réservé aux Élus, tels que Moïse et/ou à d’autres, et, pourquoi pas, finalement, à Tamara.


Cet ancrage dans l’histoire de la religion n’empêche pas le livre d’André Journo de s’inscrire dans l’actualité historique contemporaine. Ses nombreuses références à des événements et acteurs de l’histoire récente donnent aux lecteurs le sentiment de connaître ces faits qui leur parlent de la vie de tous les jours comme d’une sorte d’actualité qui se déroule sous leurs yeux que ce soit la crise de subprimes, le terrorisme lié à l’Al-Qaïda ou les idéologies islamophobes de certains extrémistes protestants américains.


Tamara va-t-elle trouver ce fameux sceptre, saura-t-elle faire bon usage ou, au contraire, va-t-il lui échapper et passer dans le camp des méchants extrémistes ? Même si les réponses sont presque connues, si l'on suit la logique selon laquelle le bien est capable de vaincre le mal, le lecteur n’est pas à l’abri des surprises face à un dénouement qui s'avère plus ou moins inattendu.


Ce roman que l’on pourrait qualifier de « thriller biblique » met sur pied d’égalité les trois grandes religions du Livre, judaïsme, christianisme et islam dans une harmonie qui réside dans le désir pour le bien commun de l'humanité et le refus de la violence.

Preuve que, plus on se réfère aux racines de nos spiritualités, plus nos différences disparaissent, laissant place plutôt à ce qui nous unit qu’à ce que nous appelons nos différences.


En ce sens, le livre d’André Journo est, avant tout, un plaidoyer pour la tolérance et le retour à nos racines communes.   

 

 

André Journo, Le Sceptre de Dieu, Éditions Fayard, mai 2014, 350 p. 19 euros.  

 

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