La route est longue, extrêmement longue avec Amor Towles...

Comme nous l’avons déjà dit maintes fois et tant de fois réitéré, il y a pléthore de bons romans en provenance des États-Unis de l’Amérique, voire même du Canada (rappelons-nous la sublime Loi des rêves, de Peter Behrens). Si par extraordinaire vous n’avez pas lu My Absolute Darling de Gabriel Tallent, ni Louise Erdrich, ni Delia Owens – sans parler bien sûr des génies tutélaires Cormac McCarthy ou Toni Morrison, vous devez commencer par ceux-ci. Disposant donc d’un cheptel américain tout à fait conséquent, nous pouvons nous permettre de faire la fine bouche.
Amor Towles, donc. Bostonien, 58 ans, universitaire distingué, déjà célèbre pour Un Gentleman à Moscou, il avait abandonné la finance pour se consacrer à l’écriture. Un bien noble jeune homme, aurait dit Shakespeare – grand ancêtre souvent cité dans ce roman, Lincoln Highway, en compagnie de la Bible et de l’Odyssée d’Homère. Car les personnages de ce roman sont cultivés, bien que délinquants. En juin 1954, Emmett, dix-huit ans, sort d’une maison de correction et récupère son jeune frère âgé de huit ans avant d’entreprendre de parcourir toute la Lincoln Highway afin de se bâtir une baraque en Californie. Une nouvelle vie les attendrait, si leurs bons amis Duchess et Woolly ne leur avaient piqué leur bagnole et toutes leurs économies. Il s’agit pour Emmett et Billy de récupérer leurs biens, allant jusqu’à New-York au lieu de s’installer à San Francisco. Sorte de road movie donc, avec une belle série de rebondissements, qui montreront surtout que les méchants ne sont pas toujours ceux qu’on croit.
Que voilà un récit alléchant ! Naïf comme toujours, dupé par une quatrième de couverture exquise, me voici le 20 mars dernier lancé dans la lecture de ce roman. Et voilà que je me retrouve sept jours plus tard en train d’aboutir page 634, appréciant d’ailleurs une belle fin surprenante. Hélas ! Amoureux des digressions, des débats théologiques que mène le très jeune Billy, des discussions de certains personnages casse-couilles, l’auteur a décidé de nous balader, de nous lasser, d’abuser de notre patience, étirant son intrigue comme un chewing-gum trop mastiqué.
Pourtant, nous lirons certains passages tels que : Pour être honnête, la première fois que Woolly m’avait parlé des cent cinquante mille dollars planqués dans la demeure familiale, j’avais eu des doutes. Je n’arrivais pas à imaginer une telle somme dans une cabane en rondins. Ça donne envie de lire la suite, n’est-ce pas ? Mais pour arriver à la cabane en rondins, il faut se taper des pages et des pages de discussions oiseuses et de descriptions tatillonnes. Qu’eût-ce été s’ils étaient parvenus au bout de cette Lincoln Highway !
Un compliment pour Nathalie Cunnington, la traductrice. Il faut mentionner les traductrices. Ce sont des exégètes, des moniales, des saintes. Ici, tout est parfait. Meilleur que la version américaine, que j’ai eu l’idée absurde de parcourir. Un détail : on ne dit pas, en français, baisser les fenêtres d’une voiture – même s’il s’agit d’une Studebaker 1947. On traduit windows par "vitres". Le reste de la traduction est nickel.
À vous de décider. Vous avez le droit de vous réserver pour un autre roman américain. Le prochain Cormac McCarthy sort bientôt.

Bertrand du Chambon

Amor Towles, Lincoln Highway, éditions Fayard, août 2022, 634 p.-, 25€.

Aucun commentaire pour ce contenu.