Oppenheimer pour l’exemple !

Initialement paru en janvier 2022 chez Anne Carrière, il ressort judicieusement au bon moment en version poche, quelques semaines avant le film de Christopher Nolan, car il apparaît opportun de le lire avant d’aller s’enfermer dans un salle obscure ; en effet, le roman enveloppe une plus grande partie de l’affaire Oppenheimer et non la seule quête à la bombe A. C’est ainsi que l’on comprend très vite que l’on a entre les mains un roman majeur pour ceux qui n’auront pas encore ouvert les yeux sur la manière dont les USA dominent le monde, cette idéologie impériale et la manière dont les hommes de pouvoir appréhendent le monde sous des travers arriérés de Bien et de Mal, sans la moindre nuance, pour justifier une soif inextinguible d’argent, quitte à dévoyer la science et l’éloigner de son rôle dévoué au bien du monde en s’en servant pour sa gloire propre et/ou pour servir des desseins politico-religieux… quitte à traîner Oppenheimer dans la boue.
Sous couvert de narrer l’épisode de la bombe atomique, Virginie Ollagnier déchire le voile pudibond qui masque la réalité de la société américaine. Héros d’un jour, homme charismatique qui réussit à rassembler autour de lui, perdue dans le désert de Los Alamos, une troupe de "savants fous" prêts à tous les sacrifices pour devancer Hitler et son projet de bombe atomique. Mais une fois le but atteint, une fois la prise de conscience de ce face à quoi l'on se trouvait, la question de "qu'en faire" se posa très vite. Et alors la belle histoire vira au cauchemar...
Oppenheimer sera très vite harcelé car il souhaitait partager sa découverte et surtout éviter l’avènement de la bombe H et restreindre la course aux armes. Calomnié pour ses idéaux progressistes des années 1930 – il financera le PC et les Brigades internationales luttant contre Franco –, il sera poussé à la démission avant d’être réhabilité des décennies plus tard. Celui qui succéda à Einstein, à la tête du plus prestigieux complexe de recherche au monde, restera avant tout un rêveur et un humaniste, et sera seul face au rouleau compresseur de l’Institution.
La stratégie de McCarthy reposait sur l’exemplarité et sur la mise en scène d’un sacrifié pour rentrer les autres dans le rang. C’était en cela qu’il servait Hoover. […] Les médias reprenaient le vocabulaire de McCarthy, l’autorité judiciaire enjambait les libertés individuelles, l’exécutif éreintait les libertés fondamentales, le pouvoir administratif criminalisait l’amour, l’amitié, l’association. Oppie sera l’exemple. Schéma que l’on retrouva avec la Covid et l’acharnement contre les professeurs Raoult ou Perronne (ce dernier ayant été blanchi de toutes les accusations portées contre lui en octobre ’22, dans un silence médiatique assez… parlant).
Le président Eisenhower prit conscience trop tard qu’il fut dupé : le 17 janvier 1961, à la fin de son second mandat, il affirma publiquement que l’investissement dans la sécurité militaire était vertigineux et que malgré les créations d’emploi, les dépenses excédaient les recettes de toutes les entreprises américaines (le début de la dette pharaonique des USA ?). Ensuite il expliqua que la conjonction d’une institution militaire et d’une industrie de l’armement était un fait nouveau dans l’histoire américaine, dont l’influence économique, politique, universitaire et même spirituelle, était ressentie dans chaque ville du pays… Ike en appela alors à un sursaut démocratique pour contrer les lobbyistes au sein du gouvernement et dans la société par une nécessaire éducation. Sans cela, il redoutait la mise en danger des libertés et de la démocratie.
Les dernières aventures guerrières américaines et désormais l’instauration du woke et la guerre en Ukraine démontrent combien il avait raison. Déjà, en 1961, ce que l’on appelle l’État-profond (la guerre froide rendant parano, il fut décidé de créer un second gouvernement, secret, au cas où les Soviétiques réussissent à bombarder Washington ; depuis il existe toujours et tire les ficelles des marionnettes que l’on connaît), montrait le début de sa puissance :
Au sein des comités du gouvernement, nous devons nous prémunir contre les influences sollicitées ou non du complexe militaro-industriel. La potentialité d’une funeste progression d’un pouvoir illégitime existe et existera toujours.
CQFD, comme disait mon professeur de mathématiques. Après, comme l’on disait du temps de l’empire ottoman, seuls les eunuques font carrière, aujourd’hui seuls les aveugles font carrière ; à vous de vous dessiller les yeux…

François Xavier

Virginie Ollagnier, Ils ont tué Oppenheimer, Folio, juin 2023, 448 p.-, 9,20€

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