Jazz et plus : deux compilations passionnantes

S’il est un label qui est passé maître dans l’art des compilations et des anthologies, c’est bien Frémeaux & Associés. Toutes ses  productions offrent des caractéristiques communes, à savoir une sélection rigoureuse et souvent judicieuse des morceaux ou des interprètes, un livret copieux, détaillé et précis à la fois, signé par d’incontestables spécialistes. Les dernières publications viennent confirmer cette exigence de qualité. Si le jazz y occupe une place privilégiée, il arrive que la thématique  retenue dépasse plus ou moins largement son seul domaine.
C’est le cas des derniers coffrets parus.

Nouvelle vague. Les musiques de films 1957-1962 (1) fait revivre une période fertile sur le plan artistique. Ce lustre voit en effet l’éclosion de la nouvelle vague de réalisateurs de cinéma, les Louis Malle, François Truffaut, Roger Vadim, Claude Chabrol et quelques autres dont l’esthétique va marquer le septième art. Des films comme Les Amants, A bout de souffle ou Les 400 Coups laisseront une trace durable et il n’est pas douteux que leur bande-son y est pour quelque chose. 
Brahms, Martial Solal, Jean Constantin les ont marqués de façon indélébile.   
Ainsi d’Ascenseur pour l’échafaud dont la notoriété doit beaucoup aux improvisations de Miles Davis, de même que les Jazz Messengers d’Art Blakey imprimeront leur marque aux Liaisons dangereuses de Roger Vadim. La réussite  de Cléo de 5  à 7 tient pour beaucoup à la musique de Michel Legrand, comme le Jules et Jim de Truffaut reste inséparable de celle de Georges Delerue et de l’interprétation  du Tourbillon par Jeanne Moreau.

Il ne s’agit là que de quelques exemples. Le propre de ce coffret  est de ressusciter, à partir de quelques notes de musique, un film tout entier – voire toute une époque. Un concerto de Brahms et voici Jeanne Moreau qui apparaît dans toute sa séduction. À bout de souffle, et Jean-Paul Belmondo surgit sous les doigts de Martial Solal. Un  avatar  typique de la synesthésie chantée par Baudelaire. Elle crée un climat particulier, fort bien mis en exergue par Olivier Julien, auteur du livret, qui replace chaque œuvre dans son contexte et se révèle un guide précieux pour ce voyage dans le temps.
 

La seconde anthologie, George Gershwin. De Broadway au Metropolitan Opera (2), concerne non un mouvement artistique, mais un artiste qui aura marqué son époque. George Gershwin (1898-1937) fut, en dépit de la brièveté de sa vie,  un compositeur prolixe qui toucha à tous les genres : pièces classiques, comédies musicales, opéra. Il fut surtout un pourvoyeur inégalé de ce que l’on a appelé les standards du jazz, ces thèmes extraits souvent des comédies musicales de Broadway et maintes fois interprétés par les musiciens les plus connus. Le livret  signé  Teca Calazans fournit, sur ce point et sur d’autres, toutes les précisions nécessaires.  Ainsi,  plusieurs versions de I Loves You Porgy, Summertimes, The Man I Love et quelques autres morceaux aussi connus donnent lieu à diverses interprétations. Voilà qui fournit l’occasion de confronter les mérites de Nina Simone, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Aretha Franklin, pour s’en tenir aux vocalistes. Mais les trompettistes Louis Armstrong, Buck Clayton, Chet Baker ou Miles Davis sont aussi de la partie, de même que les pianistes Erroll Garner ou Oscar Peterson, pour s’en tenir à quelques exemples.

Le Versant "classique", qui occupe un des trois CD, propose une version de "Un Américain à Paris" par le Hollywood Bowl Symphony Orchestra sous la direction de Felix Slatkine, le "Concerto en fa" pour piano et orchestre ainsi que la "Rhapsody in Blue" par le pianiste Daniel Wayenberg et l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, dirigé par Georges Prêtre.
Autant de compositions de facture traditionnelle, répondant aux canons en usage dans ce type de musique. Elles témoignent de l’essor de George Gershwin et de l’envergure qu’il a acquise au fil des années. Non qu’il ait en rien renié les sources de son inspiration : au détour de quelques mesures, les rythmes du jazz et les notes bleues pointent le bout de leurs nez. Un gage de fidélité qui permet, en outre, de mesurer l’homogénéité d’un parcours hors du commun.

Jacques Aboucaya

 

1 – Nouvelle Vague. Les musiques de films, coffret de 3 CD, Frémeaux & Associés / Socadisc

2 – George Gershwin. De Broadway au Metropolitan Opera, coffret de 3 CDn Frémeaux & Associés / Socadisc

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