Sculpter en toutes lettres : Rodin / Bourdelle : Correspondance

Petit objet de désir. Convoitise épistolière d’une grande rareté. Matériau précieux, à peine exploré. Déjà dévoilé. Prise en main d’un gros volume. Sentir la sève vivace et inédite. Avoir ainsi sous les yeux ces histoires oubliées. Soulever doucement le voile sur une relation d’estime. Une complicité entre deux géants de la sculpture. Des moments rares dévoilés par le biais de ces lettres. Seules capables de déchirer le voile pudique de l’oubli. Et de nous donner moyen de contester des faits que l’on croyait avérés. Le dire. Changer l’approche que l’on avait. Se rapprocher encore un peu plus d’une vérité qui pourrait bien être la vérité des choses enfouies…


Auguste Renoir et Antoine Bourdelle échangèrent 320 lettres. Entre 1893 et 1912, date du dernier document à ce jour disponible. Voici donc cette correspondance à ce jour jamais publiée dans son intégralité.


Jamais Rodin n’écrivit autant à un praticien (109 lettres). Jamais Bourdelle n’écrivit autant à un destinataire (211 lettres). C’est dire le caractère inédit, extraordinaire de cette somme.


Cette correspondance est peuplée de découvertes en tout genre. Et notamment de pouvoir mieux approcher la vie et l’œuvre de Bourdelle. Les dates des travaux, les participations aux Salons, les collaborations artistiques, les affinités électives, les prix engagés, les nombreux séjours… Autant d’éléments que l’on peut désormais affiner, revoir, contester…


Des lettres qui nous renseignent aussi sur les idées. Sur toute une conception de la sculpture qui voit Bourdelle tenir des considérations sur le ciseau et la râpe. Sur la nécessité d’envisager l’œuvre en termes de plans et de structure. D’architecturer les formes, de laisser la matière visible, présente. Vivante !


Bourdelle, à son corps défendant parfois, s’aventure à interpréter la pensée de Rodin. D’en restituer les linéaments, convaincu d’en être le géomètre pénétrant : "Les points sont la Topographie d’une sculpture les profils en sont l’essence" (Bourdelle à Rodin, septembre 1906).


Avec ces feuillets entre les mains, ami lecteur tu vas percevoir le ciseau agile dans la main de l’artiste. Tu sentiras l’odeur du plâtre. Tes yeux piqueront de trop de poussière soulevée. Manqueront peut-être les bruits de l’atelier. Ou ceux de l’extérieur : rien sur les faits divers. Rien sur l’affaire Dreyfus. Car c’est seulement ici et maintenant que cela se joue. Il faut lire entre les lignes. Les deux hommes se savent au carrefour d’un monde en mutation. Ils ont foi en l’avenir. Ils poussent à la démocratisation de l’art. Ils appellent de leurs vœux le passage du régime professionnel à un régime vocationnel.



Annabelle Hautecontre


Colin Lemoine & Véronique Mattiussi, Rodin / Bourdelle : Correspondance, Gallimard, coll. "Art et artistes", mai 2013, 400 p. – 25,00 €


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