Reinhoud : 6e et dernier tome du Catalogue raisonné des sculptures

De Murano au Déjeuner des sculptures, les célèbres personnages de Reinhoud (1928-2007), le plus français des sculpteurs flamands, ont pris de la couleur et de la hauteur. Polis et désormais fragiles, soufflés par un maître verrier, ces drôles de petites bêtes s’en sont allées renaître du côté d’une célèbre lagune. En miroir, d’autres se sont élevées, renfrognées d’avoir été jadis si mesurées, obligées de voir d’en bas ce monde d’humains si pétris de certitudes ; aussi les voilà donc à l’échelle un, diront les maquettistes, afin de partager un repas, un concert, un verre au bar, appuyé sur le zinc, comme complice en élément…

 

Les sculptures de Reinhoud sont mondialement connues : ce sont pléthores de personnages en cuivre repoussé ou en étain, découpés ou ciselés dans le laiton, rougeoyants des reflets cuivrés ou rutilants des éclats d’un mélange à base de plomb ; qu’ils soient grivois, irrespectueux, tristes, laids – voire menaçants ou carrément sinistres – ils brillent d’insolence en nous regardant dans les yeux pour nous rappeler que tout n’est que transformation. Ne sont-ils pas, d’ailleurs, le fruit d’un métissage impossible entre l’insecte, l’oiseau, la plante et cet homosapiens mal dégrossi... dans tous les cas ils témoignent d’une persévérance de CoBrA qui, tel le phénix de l’histoire de l’art, renaît une fois encore de ses cendres. Comment, finalement, un tel mouvement, incontestablement l’un des plus artistiques et poétiques de toute première importance, pourrait-il avoir disparu malgré les tentatives pathétiques qui tendent aujourd’hui encore à nous faire croire que Jeff Koons est un artiste ? Son dernier entretien (lundi 1er décembre 2014) sur CNN le prouve : lui-même avoue collectionner Titien, Velasquez, tous ces peintres immortels et laisse filtrer – ce que la journaliste à très bien noté – combien son "œuvre" est sujette à disparaître au fil du temps.

 

Il n’en sera rien de Reinhoud qui fut, très vite, adoubé par CoBrA à l’invitation de Pierre Alechinsky, l’un des tout premiers à avoir tout compris de l’œuvre en devenir. Ne sommes-nous pas littéralement interpellés par ces étonnantes sculptures ? Qui sont-elles ces créatures venues d’autre part tout à la fois reconnaissables et si magnétiques, exerçant un pouvoir d’attraction phénoménal ?

La fascination de l’inattendu et de l’improbable démontre l’humilité de l’artiste face à la nature car, reconnaît-il, il ne se lance jamais seul face à la page blanche : lorsqu’il débute un nouveau croquis – qui deviendra une sculpture – il s’entoure de papiers froissés, de déchets métalliques de ces précédentes découpes, de tout un patchwork duquel jaillira l’inspiration. Oui, la nature ne naît pas de rien, tout comme l’œuvre sculpturale de Reinhoud puise dans l’obsession naturaliste qui le hante cette alternative qui ne consiste pas à copier, ni à modifier, mais bien à créer tout contre cette nature si généreuse et amusante pour s’en aller vers des formes uniques, comme ces oiseaux-plantes qui pourraient tout à fait être bien réels...

 

Et pour couronner le tout, des noms décalés, totalement hallucinants, accompagnent les sculptures (J’entends mais je n’écoute pas, Apôtre zélé du charabia, Le menteur platonique par excellence, Il vit dans un milieu où l’on considère le golf comme une panacée et dans un monde où l’on croit aux panacées, Nappé, Survivre avenue Montaigne, Je ne trouve nulle part où aller, intellectuellement parlant…) ce qui a valu à son épouse de succomber à la tentation en regroupant 752 titres pour les monter en une pièce de théâtre, Le dîner en ville, totalement déjantée, sorte de clin d’œil à Ubu, qui a paru chez Fata Morgana en 1998.



Aucun artiste ne tolère le réel, disait Nietzche mais les synthèses extravagantes de Reinhoud, où l’absurde vitalité lutte bel et bien entre la figure – fuyante – et l’informe, démontrent qu’il recrée bel et bien d’après le réel cette imagerie dantesque si personnelle et qu’il la fige dans l’espace.

Aucune des apparitions provoquées par l’artiste n’a la sérénité assise et la certitude irrésistible du sphinx. Placées dans une position éternelle de solitude, de rivalité et de risque, elles se reposent rarement, se cachent, parfois, esquivent aussi, mais le plus souvent tentent d’intimider, étalant les panoplies dont la nature les a dotées et tout particulièrement les becs, bouches et gueules béantes, menaces symboliques du passage de la vie à la mort, comme naturalisées dans un grognement d’avertissement continuel.


François Xavier

 

Nicole d’Haese, Reinhoud – Catalogue raisonné des sculptures, tome VI (2001-2006), 330x250, toilé avec couverture à rabat, Gallimard, novembre 2014, 328 p. – 76,50 €

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