Où vont les nuits perdues d’Alain Duault ?

Vous connaissez Alain Duault pour l’avoir certainement vu ou entendu à la télévision, à la radio ou bien encore lu dans une revue en rapport avec la grande musique ; mais tout cela n’est que comédie humaine pour donner le change et nourrir le système. En réalité, Alain Duault est poète. Et seulement poète ! Plongé dans la vie il veille sur les instants éphémères et s’astreint à noter les beautés du réel. Il veut graver sur l’éternel papier ce qui demeurera après l’oubli.

 

Blessé, parfois meurtri, Alain Duault demeure aux aguets et lutte contre le vertige qui pourrait l’attirer vers le vide de la dépression : or, quoique l’incohérence obsédante s’impose souvent, le poète aura tôt fait de mettre à nu les lumières de l’espérance, malgré tout. Quitte à laisser au lecteur l’impression – fausse – d’une mise en pratique de la méthode Coué au nom d’un épicurisme dépassé qui narguerait le désarroi. Ecrire alors, écrire seulement comme baume sur la plaie, comme folie invitée puisque de raison il faut faire fi si l’on ne veut pas abdiquer.

Le tragique est là mais sa componction est ici refoulée : la méditation sur la mort, lancinante, se métamorphosera en paroles de revanche, de victoire… car c’est bien une victoire d’être ici-bas, la marque d’un renouveau, d’une célébration.

 

Oui, c’est ici-bas que tout bruisse et respire et conspire, et non dans les limbes dont personne encore n’a pu certifier si la musique était perceptible. Or, pour le mélomane Duault, c’est bien de variations musicales dont il est question en écrivant, une voix qui se projette avec énergie dans l’élan et l’épanchement.

Point de pathos mais un lyrisme assumé, une fougue pétillante mais précise, ointe d’une huile parfumée qui fera glisser les vers découpés avec précision.

 

J’écoute le silence ou la tempête et c’est la même

Lente explosion qui remonte depuis les racines de

Mes mains mes pierres depuis les doigts du temps

J’écoute ce battement de toi qui demeure au-delà

De tous ces cris offerts à l’épouvante qui demeure

Comme cette basse de viole sous le chant le hante

Et je me demande ce que nous aurions vécu quelle

Ivresse nous aurions portée dans nos bras quel feu

Quel verso de ce moulin qui me réduit à t’imaginer

Comme on mange son poing de rage et la tempête

Dans la bouche je me demande où tu m’attends où

Tu griffes les murs ces longs doigts qui tremblaient

Un peu la première fois que tu as posé ta main sur

Moi je ne savais plus le chaud et l’effroi quand nue

Sur mes cils nue sur mes paumes nue sur mon dos

Quand tu m’as donné nue ta peau la plus indécente

Et ce vent dans mes voiles tes seins alizés comme

Des champs comme la foi monte des chevilles des

Jambes ouvertes comme on se damne Oh madame

Je n’ai jamais rien cru d’aussi soleil et chahut dans

Mon sang mes lèvres Mais jusqu’où serions-nous

Allés

 

Hors des mièvreries servies à l’accoutumée pour ce type de sujet, cette poésie brutale et forte parle de l’humain fracassé parvenant à se relever de l’impossible chagrin. Et si l’homme a froid, lutte contre l’hiver de son âme, il parviendra néanmoins à cheminer, lentement, certainement, vers un printemps intérieur qui lui (ré)ouvrira le vert paradis de l’enfance perdue.

Il ne sert à rien de renâcler, rappelle Alain Duault, même si le réel est plus coriace qu’il n’y parait : alors seul le désir pourra défier le destin – sans pour autant le vaincre systématiquement – mais la foi en la langue facilite l’assaut du verbe. Une poésie de rayons cinglants et d’ombres portées qui voit le monde danser sur les impostures ténébreuses qui nous avalent. Mais le dernier mot ira – toujours – à l’Amour qui hurle sa résistance. La loi d’un absolu au-dessus de toutes les contingences s’impose alors car c’est bien d’intemporel dont il est ici question. Leçon de vie à ce quotidien râpeux qui use et détourne de l’essentiel.

 

François Xavier

 

Alain Duault, Où vont nos nuits perdues – et autres poèmes, préface de Xavier Darcos, Poésie/Gallimard n°504, novembre 2015, 320 p. – 8,60 €

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