François Mitterrand, Lettres à Anne 1962-1995

De Mitterrand, il reste une image un peu trouble d’homme d’Etat socialiste, donc présumé humaniste, mais qui des décennies plus tôt reçut la Francisque des mains mêmes du maréchal Pétain. D’un ancien résistant qui se fit employer par Eugène Schueller, patron de l’Oréal, un des principaux financiers de la Cagoule. D’un homme qui ne renia jamais son amitié avec René Bousquet, lui qui proche de Badinter oeuvra pour abolir la peine de mort…

Les ambivalences et contradictions de François Mitterrand feront pour de longues années encore les belles heures des chercheurs et écrivains. Mais il est un domaine où il brillait déjà que nul ne pourra lui contester : celui de la littérature. On connaissait l’écrivain, on redécouvre le poète et l’homme de plume, l’amoureux de la langue française.

Anne Pingeot qui créa sa "deuxième famille", la mère de Mazarine, la femme discrète que le grand public découvrit lors des obsèques du président à l’hiver 1996 publie les 1218 lettres qu’il lui écrivit entre 1962 à sa mort, en 1996 et c’est éblouissant. L’homme roué, retord, florentin se mue en amoureux fragile, parle de la bêtise de "laisser le temps donner de l’épaisseur à l’absence" dans l’une de ses premières lettres d’octobre 1963 et lui avoue dans sa dernière en septembre 1995 : "Tu as été la chance de ma vie. Comment ne pas t'aimer davantage ?"

Entre les deux, les missives de la passion des premières années, de la maturité, de l’arrivée de Mazarine, puis celles du temps de la présidence, de la maladie.

Elles sont sur du papier à en tête de l’assemblée nationale, des télégrammes, des cartes postales d’Egypte ou de la grande muraille. Très courtes ou lyriques, chacune exalte l’amour, le manque, le désir de se retrouver. "Journée sans toi, c’est rare et je n’aime pas", "J’ai besoin de ton air pour respirer", "Je garde de toi, comme un envoûtement".

Venues d’un temps où les amoureux écrivaient, où les hommes politique n’écorchaient pas la langue, ces lettres à Anne, poétiques souvent, amoureuses toujours sont un témoignage littéraire exceptionnel d’une passion du vingtième siècle.


Brigit Bontour


François Mitterrand, Lettres à Anne 1962-1995Gallimard, 1276 pages, 35 €


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