Le Sans Intérêt d’Adel Abdessemed par Hélène Cixous

Faut-il qu’il soit en danger, le soldat Abdessemed, pour qu’une figure telle qu’Hélène Cixous, Prix Médicis 1969 et titulaire au Collège international de Philosophie, n’intervienne pour tenter de nous démontrer que ces élucubrations artistiques ne relèvent pas du seul n’importe quoi. Commenter une œuvre, l’accompagner pour magnifier la beauté qu’elle porte en elle, pousser le regardeur à mieux appréhender la portée spirituelle, réfléchir sur l’expressivité chromatique ou technique du trait, des formes, de l’élégance et de toute idée novatrice dans la quête d’une esthétique recherchée, cela se justifie. Mais expliquer l’inexplicable démontre l’écueil sur lequel tout démonstrateur ira s’empaler puisque l’art est une onde à ressentir, une émotion à partager non un dogme, un programme politique ou une démarche sociale qui serait là que dans le but de nous faire réagir, interagir comme l’on dit aujourd’hui, aspirant le troupeau vers des concepts qui relèvent de la propagande et non de l’art.

Adel Abdessemed aurait fait scandale en 2000 en exposant une étoile faite de joints de cannabis, intitulée Oui : scandale réel ou mystification montée de toute pièce par l’institution et la presse collabo ? En quoi, en 2000, une pseudo-sculpture en cannabis est-elle scandaleuse ? De qui se moque-t-on réellement ?
Qu’il détricote une burqa par le bas et s’arrête après avoir dévoilé le pubis du mannequin, qu’il se fasse suspendre par les pieds sous un hélicoptère pour gribouiller une toile selon les variations de la rotation, qu’il dessine un labyrinthe avec de la crotte de chien, réalise un montage vidéo avec des scènes d’abattage d’animaux à coups de masse, reproduise le coup de tête de Zidane dans une sculpture monumentale, filme une jeune femme donnant le sein à un cochonnet, promène des sangliers dans la rue Lemercier (Paris) ou qu’il réalise la structure extérieure d’un cercueil de vingt-quatre mètres de long sur huit de haut, en métal, tout cela souligne les égarements mentaux d’un homme brisé. Nul doute que l’assassinat, en 1994, du directeur de l’école des beaux-arts d’Alger par les islamistes l’a profondément traumatisé. Mais cela ne justifie pas l’engouement de certaines institutions ou collectionneurs d’art contemporain – sauf à continuer à tenter de chasser la beauté et enfouir l’âme humaine sous des tombereaux d’ordures – comme si le quotidien n’en déversait pas assez sur nos têtes, devant nos yeux brûlés de tant d’horreur – ou à continuer le cirque de l’AC dans la grande lessiveuse d’argent sale qui se recycle au grès des adjudications et des ventes en atelier…

A en croire Hélène Cixous il faut comprendre ce pauvre Adel confondu parmi ses frères les ânes qui, en Algérie – cette animalgérie –, sont nommés bourricots, dans ce françaisdalgérie qui le fait rimer avec bicots, dans le traitement brutal de l’idiome concentré vers cet Autre qu’il faut rabaisser… Cela se passe en 1840. Sauf qu’Hélène Cixous, comme toutes les bonnes âmes, se plaît à s’épancher avec les victimes sans voir plus loin. Car si le prétexte d’invasion de l’Algérie reste trivial, il n’en demeure pas moins vrai que depuis Louis XIV l’idée est évoquée, non par pur esprit de conquête mais dans une opération de défense. Il s’avère que je suis né dans une ville enclavée entre les massifs des Maures et de l’Esterel. Nommé ainsi car pendant des siècles les barbares venus de l’autre côté de la Méditerranée menaient des razzia dans toutes les villes côtières du Var, notamment, car la géographie naturelle leur permettait d’échapper à la troupe du roi, dans ce fameux massif devenu des Maures puisque les mauresques s’y retranchaient après avoir tué hommes et enfants et enlevés les femmes, avec comme point stratégique les fameuses vallées autour de La Garde Freinet libérée des Sarrasins par le comte de Provence en 973 ce qui n’arrêta pas les opérations punitives menées depuis le Maghreb ; cela explique donc ce mépris affiché envers ces arabes colonisés car devant être à tout prix pacifiés.
Et si Adel est donc né, comme Hélène, d’un pays d’où la pitié pour l’âne avait été bannie, cela ne justifie en rien son absence de goût, ni le fait qu’on puisse justifier de l’exposer.

La dernière exposition – mars 2018 – s’articulera au MAC Lyon – comme si nos impôts ne pouvaient pas être mieux investis, au hasard dans la défense des artistes français autre que l’inoxydable Soulages – avec les dernières laideurs d’Abdessemed dont son Shams de 2013, qui occupe tout le troisième étage, une œuvre d’une grande souffrance, dixit l’artiste, qui met en scène des corps façonnés dans l’argile, tourmentés, exploités, écrasés par leur fardeau. Passionnant, extraordinaire de nouveauté, sublimissime de réalisme ? Tout simplement fade, déjà vu mille fois, inutile, laid, ringard. Je prends le pari que le public passera devant, marchand en regardant son mobile, une minute montre en main le temps de traverser l’espace…
Mais Paul Ardenne aussi s’y est perdu, sans doute en mal de commande a-t-il accepté de rédiger le catalogue, s’aidant d’alcools forts pour nous sortir une telle expression, décrivant l’art d’Abdessemed comme une concaténation mentale, parlant de ballet maïeutique dont les maîtres mots, plus que la citation, sont l’éruption, le collage et la recomposition.
Il est certain qu’Adel Abdessemed souffre de troubles mentaux, il n’y a qu’à l’écouter parler, mais entre la thérapie psychiatrique par l’approche artistique, dans un environnement adéquat, et l’exposition publique voire l’imposition sociale d’une démarché dégénérée, il y a un pas qui a été franchi et qui met de mauvaise humeur.

François Xavier

Hélène Cixous, Les Sans Arche d’Adel Abdessemed – Et autres coups de balai, Gallimard, coll. "Art & Artistes", mars 2018, 128 p. – 16,80 €

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