Bernar Venet : entre opportunisme & suivisme

Toute une vie pour l’art, sous-titre cet essai, j’aurai plutôt tendance à penser toute une vie pour moi, tant l’aspiration première de Bernar Venet tient dans l’une des phrases écrites à sa mère – il a entretenu une importante correspondance avec elle –, où il évoque être prêt à tout pourvu que dans deux siècles on parle encore de lui. L’art n’est donc plus qu’un moyen comme un autre pour assouvir un orgueil démesuré ! D’ailleurs l’insolence éprouvée de sa fondationnette, devrais-je dire, prête à sourire et confirme l’entreprise d’égocentrisme. Située au Muy, elle n’a rien de la Fondation Maeght ou de la Fondation Hartung-Bergman mais d’une simple maison, dans laquelle il habite, avec un hangar, un jardinet avec quelques petites œuvres ici et là. Fondation est surtout une échappatoire fiscale et un outil de propagande…

Mais reprenons, le jeune Bernard Venet naît dans une famille modeste et s’amuse très vite avec ses crayons de couleur puis sa peinture, adolescent puis jeune adulte, il n’aura de cesse de vouloir faire son métier dans le monde de l’art, tentant sans succès d’intégrer l’École des arts de Nice pour se retrouver à faire des petits boulots à l’opéra comme décorateur. Mais à force d’obstination, il rencontrera Ben – dont on connaît le mépris qu’il a pour l’art, son "œuvre" (sic) le démontrant, jusqu’à ses propres paroles (L’histoire de l’art n’est qu’une histoire d’égo) avouant la supercherie et reconnaissant qu’à la vue de tous ces gogos qui adhéraient il a continué à fourguer ses écrits sur toile à des prix prohibitifs comme autant de bras d’honneur à la bourgeoise snob et décérébrée – puis ce fut Arman qui le prit sous son aile et lui conseilla d’aller voir à New York : il se fait offrir une pièce qu'il vend pour se payer le voyage, supprime le d à la fin de son prénom et s'y croit déjà...
Il faut dire que le jeune Bernar ne savait plus quoi faire pour attirer l’attention : suiveur devant l’éternel il avait badigeonné ses toiles de goudron (après avoir découvert Soulages), s’était fait photographier parmi des détritus (après avoir découvert les assemblages de poubelles d’Arman), etc. etc. si bien qu’à force d’écouter et de croire aux théories fumeuses des déconstructeurs de l’époque (années 1960) dont on voit aujourd’hui, avec la cancel culture à quel point de non-retour le monde de l’art contemporain est arrivé, Bernar Venet tente tout et n’importe quoi pour essayer d’attirer l’attention. Il tomba dans le tourbillon Duchamp, du débarquement américain à la Biennale de Venise et du coup d’État de Rauschenberg transformant l’art en entreprise de communication, de propagande américaine, leur fameux entertainment désormais connu et largement étudié et commenté par les historiens de l’art.
Délaissant les cimaises il commença à étudier l’objet – osa exposer des plans, faute de pouvoir construire la sculpture, mais on n’en était plus à ça près – et entrepris d’élever toujours plus haut ses caprices (60 mètres, 40 tonnes). Comme si surdimentionner un objet et l’exposer, était de l’art, du design à la rigueur et seulement – on n’est pas dans un concours à celui qui pisse le plus loin ! On en arrive très vite au frigidaire ouvert ou au complet-veston vendu 400 000 euros, chez Lelong rue de Téhéran à Paris…
Et maintenant des objets virtuels ; bientôt on exposera du vent et un crétin viendra l’acheter, du moment que c’est à la mode…

Or, l’art n’est pas une tribune politique ou sociologique, mais un lieu spirituel dédiée à la Beauté1 qui dialogue avec l’espace, jouant des formes comme autant de mots, des couleurs comme autant de musique. Devant le soleil à son déclin mes couchants sont ceux de Turner ; mes nuages, des ciels de Courbet, des plafonds de Tiepolo ; je n'imagine pas d'autres dégels que ceux de Monet, toutes mes femmes ont le ventre de Rodin ou des jambes de Maillol ; je voudrais pouvoir me réjouir d'un rose à côté d'un vert, sans avoir à en remercier Matisse (Paul Morand, Venises).
Rothko aimait à rappeler que l’un de ses meilleurs souvenirs d’artiste était d’avoir rencontré cette personne qui s’était mise à pleurer devant un de ses tableaux. Nul doute que devant Ben, Venet ou Arman l’émotion est absente, seule s’invite la question qui précède la colère devant n’importe quoi propulsé œuvre d’art sous un puéril prétexte à faire parler de soi, et à engranger beaucoup d’argent, car l’art est bon désormais que s’il est bancable, autre fuite des origines…
Si l’on compare – acte que je n’aime pas mais qui s’impose ici – entre deux artistes français célèbres dans le monde entier – et si peu en France –, entre Bernar Venet et Richard Texier, l’un empile les objets similaires et doit gloser pour justifier son travail, l’autre porte une œuvre authentique qui d’elle-même s’impose, éclaire, invite, offre beauté, inspiration, réflexion et apaisement…
Et nulle fondation ou autre fiduciaire pour la diffuser.

François Xavier
1-
(La Beauté ne fut pas conçue par Ruskin comme un objet de jouissance, mais comme une réalité plus importante que la vie, Proust)

Catherine Francblin, Bernar Venet – Toute une vie pour l’art, coll. Témoins de l’art, Gallimard, avril 2022, 256 p.-, 28 €

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