Pierre, l’autre Soulages

Pierre, ce prénom suivi de la virgule, et je vous prie d’un peu d’attention, de concentration, car rien ici n’est le fait du hasard ; en effet, dès le titre, par l’apparition de cette ponctuation, l’on comprend l’enjeu de la distance prise vis-à-vis du personnage, image véhiculée par les marchands et les médias, par-avant pour avancer masqué dans le marché de l’art qui est souvent un jeu de dupes ; ainsi Soulages vend-il des tableaux, mais c’est Pierre qui les peint… Car il y a toujours un homme, une âme derrière toute création, un désir.
D’ailleurs, c’est un désir soudain, une pulsion irraisonnée qui pousse Christian Bobin, un soir de réveillon, à tout plaquer dans l’instant pour sauter dans un train. Direction Sète, surprendre l’ami au soir de son anniversaire, le prendre dans ses bras, le voir tout simplement. Une envie qui ne se retient pas. 

Ta peinture tue tes acheteurs comme tes courtisans, mais ils ne le savent pas. Il suffit que tes tableaux prononcent un mot, deux tout au plus, comme les vieux Chinois devenus lichens. Le langage est le seul dieu, celui que les nuages, les hauts poèmes et tes outrenoirs parlent. Le dieu est ce langage si pur que l’entendre refonde le cœur. 

Voyage solitaire – ou presque – à travers la France occupée à festoyer, idéal pour un poète en quête de ressenti, en observation sur le temps qui passe, l’espace que l’on occupe. Réminiscences et constats accompagnent notre rêveur qui ressent les outrages du noir dans sa volonté de rendre à la lumière sa pleine gloire : il n’y aura jamais trop de noir pour attirer l’éclair, le reflet, le scintillement d’un éclat. Il faut ralentir le balancier pour s’en rendre compte, chose que le monde ignore, plongé dans l’immédiateté du numérique. Ce monde qui a l’épée de l’ange enfoncée dans sa gorge passe à côté de cet enfant affamé de deuil qui nous aura sauvés de nos fêtes mortifères

L’enfant a grandi, il fête ses cent ans dans la plus grande discrétion – ou presque. Il n’en a cure, les feux de la rampe ne l’hypnotisent plus car il sait quel bonheur cette solitude, cette paix, ce noir. Même si son tombeau fut présenté en 2018 à Martigny, l’idée de poursuivre le titille toujours, le questionne chaque matin au regard de la Méditerranée qui s’éveille. Pierre n’a pas dit son dernier mot…  

François Xavier 

Christian Bobin, Pierre, , Folio, octobre 2021, 112 p.-, 6,30 €
La première édition a paru en octobre 2019

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