Les démons d'Armoises : le démon détournant l'Histoire à encore (mal) frappé !

30 mai 1431, un bûcher fume au dessus de Rouen. Jeanne – ou plutôt Jehanne dans son orthographe médiévale – a péri dans les flammes, refusant d'abjurer tout ce qu'elle avait dit lors de son procès. L'horreur envahi tous ses compagnons d'armes : celles qui représentait l'espoir de la France est morte, abandonnée par ceux qui l'adulaient et lui devait tout hier.

Telles sont les pensées du maréchal de France Gilles de Laval, baron de Retz. Un de ses hommes, prénommé Richard, a assisté à sa mort et affirme qu'elle est belle et bien morte, quand bien même il n'a pas pu s'approcher durant la totalité de l'exécution. Alors le maréchal s'emporte. Contre lui-même, contre eux – Jehan de Metz, Bertrand de Poligny, etc. – qui n'ont rien fait, voir ont empêché, qu'elle soit libérée. Ceux-ci apprennent d'ailleurs dans leur assemblée secrète, à laquelle Retz ne s'est point présenté, la triste nouvelle au même moment que le maréchal. Mais alors qu'ils refusent de la venger comme elle le demandait et lui rendent un dernier hommage, l'absent écoute la voix d'un ancien religieux, Prelati, qui affirme pouvoir guider le baron sur les chemins de la haine. Ensemble, ils vont se mettre à la recherche d'un mystérieux manuscrit ainsi que d'enfants. Tant pour des expériences que pour des plaisirs interdits...


Gaudin, Clerjeaud et Collignon s'offrent le plaisir de jongler avec l'Histoire. En pleine guerre de cents ans, ils se décident à porter un univers totalement ésotérique mélangeant au noble art racontant notre passé des créatures des plus étranges : sont-ce des loups-garous que ces monstres pour le moins méconnaissables ? Dans ce cas, doit-on en déduire que Retz, Poligny, Metz, la Hire et tant d'autres en sont ? Doit-on aussi présumer que Jehanne n'est pas étrangère à cela, voir l'est ? Il y a de quoi rendre sceptique la moindre personne appréciant un tant soit peu l'Histoire.

Jouer avec elle ne nous pose aucun problème, avouons-le. Cependant il est nécessaire de bien jouer. Ainsi Johan Heliot avec sa trilogie de la Lune offre avec brio une vision du monde dans lequel nous aurions pu vivre : si tout s'était joué à Sedan et que Napoléon III avait gagné ? Ou Confessions d'un Templier de Falba et Bono où Jacques de Molay se retrouve témoin d’événements qu'il a très peu probablement vécu : la narration de la chute des états latins se devait ces petites incartades toujours très bien amenées dans le récit.

Hélas, le trio d'auteur signant Les démons d'Armoises n'a juste rien fait d'autres (nous supposons et n’engageons) que d'attraper au vol quelques brides d'un bon manuel scolaire, de le compléter avec des recherches plus ou moins exhaustives – lier les deux Jehanne (d'Arc et d'Armoises) en un seul personnage comme cela a très souvent été réalisés dans les récit se penchant sur la héroïne d'Orléans prouve, reconnaissons-le, une culture importante sur un sujet peu creusé par le commun des mortels et une volonté de dépasser la simple approche scolaire pour travailler la légende – et de mélanger tout cela à la mode actuelle des monstres de littérature bit-lit. Le Moyen-âge n'est-il justement pas la période rêvée pour faire évoluer ce genre de légendes ?


Cela dessert totalement les possibilités de cette BD qui semblaient, de prime abord, intéressante. Servie par un dessin ayant bien des qualités malgré quelques défauts (un beau trait et des couleurs entraînant bien l'ambiance mais empêchant, par moment, une complète lisibilité du récit, notamment dans son début : personnages trop ressemblant dans la lueur des flammes, etc.) le sujet aurai pu mener à une véritable aventure d'enquête dans les méandres de l'Histoire. Il a fallu jouer la carte du « banal », du thème vu et revu du monstre diabolique qui se met au service d'une bonne cause tout en gardant sa bestialité.

Au final, nous ne serions que trop vous déconseiller de laisser cette aventure de côté – sauf à ce que vous soyez un fan absolu de ces créatures à dents pointus et peu amateur d'Histoire – pour vous pencher sur d'autres parutions de Soleil ayant, à nos yeux, bien plus de qualités !


Pierre Chaffard-Luçon


Gaudin, Clerjeaud & Collignon, Les démons d'Armoises I : Prelati, Soleil, 25 janvier 2012, 48 p. - 13,95 €

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