Bernanos, le christianisme par les gouffres

                   

Que Monique Gosselin-Noat soit présentée comme l’une des plus éminentes spécialistes de l’œuvre de Georges Bernanos n’a rien d’une imposture. Son nom se rencontrait déjà dans la récente réédition en deux volumes à la Pléiade ainsi qu’au fronton d’une biographie bellement intitulée Bernanos, militant de l’éternel (Michalon, 2007). Voici qu’elle propose cette fois un essai où les grands romans se voient explorés et relus sous l'angle du surnaturel.

Si la création de Bernanos n’a rien à voir avec le genre fantastique, il n’en demeure pas moins que le tour a priori réaliste de ses récits débouche toujours sur une dimension cachée, rendue puissamment attractive par le mystère nodal qu’elle recèle. Qu’ils entrent en dialogue avec Satan au bord d’un chemin boueux, qu’ils soient investis de voix intérieures, qu’ils expérimentent le divin, la sainteté, voire le miracle, les personnages de Bernanos sont en prise avec des forces supérieures d’autant plus tourmentantes qu’elles émanent de leur âme.

Bernanos ne fut pas qu’un écrivain original, il reste unique dans le paysage littéraire français des années vingt et trente. L’homme savait ébranler ses propres convictions et mettre son honneur dans des combats qui n’appartenaient pas à son clan idéologique, ce qu’il montra avec ses engagements durant la Guerre d’Espagne ; le contempteur de l’effrayante « modernité » engendrée dans les tranchées de 14 fit bon usage, lui, d’une liberté dont il se demandait à quoi elle pouvait bien servir quand elle était réduite à l’invocation d’un principe abstrait et d’une illusion démagogique ; plus crument que Mauriac, le romancier mit en scène des êtres tiraillés entre la brutalité de leur pulsion, les exigences de la foi et l’appel de la pureté.

Monique Gosselin-Noat a pénétré avec une acuité rare les énigmes que constitue chacun des principaux titres de Bernanos. Ses lectures de Sous le soleil de Satan, Journal d’un curé de campagne, La Joie, L’Imposture, Nouvelle histoire de Mouchette sont autant de plongées au cœur du vertige Bernanos. Elles s’ouvrent sur une mise en lumière des contextes de rédaction et de publication ainsi que sur un examen philologique du texte. Ce dernier aspect de sa démarche lui permet de répondre à d’intéressantes questions, rarement soulevées ailleurs que dans des notes de bas de page ou d’appareil critique : par quoi fut guidé le choix de tel titre ? quelles leçons tirer des fins multiples envisagées par l’écrivain ? Elle revient également sur les diverses veines d’écriture dont Bernanos fut le tenant – jamais le serf exclusif –, par exemple quand elle souligne les aspects naturalistes, surréalistes, expressionnistes ou réalistes magiques de certains portraits et scènes.

Mais la part la plus impressionnante de son apport réside sans doute dans le chapitre consacré au « cas-limite » de Monsieur Ouine, roman réputé difficile quand ce n’est illisible, et que Monique Gosselin-Noat rend accessible sans jamais céder à la simplification. La force de Bernanos, dans ce chef d’œuvre saturé de noirceur, est d’avoir refusé de faire l’économie du Mal dans l’approche du problème humain. Bernanos était conscient que la béatitude n’est pas de ce monde, pétri de doutes, d’angoisses, de violence… Mais c’est justement de ce sombre terreau qu’il comptait fait germer les plus belles boutures de l’Espérance, vertu théologale.

Peut-être Monique Gosselin-Noat insiste-t-elle de façon quelque peu pesante, à la fin de chaque chapitre, sur l’actualité de Bernanos et son envergure de contemporain capital, que le public d’aujourd’hui est censé percevoir. L’examen minutieux que l’essayiste applique à chaque œuvre romanesque, l’art de la citation opportune qu’elle déploie, sa finesse d’interprétation et la clarté d'articulation de son propos, suffisent amplement à nous convaincre que cet homme est bel et bien un auteur pour le XXIe siècle. Tant pis pour ceux qui, au terme d’une telle « revisitation », ne l’auraient pas compris : ils sont voués à n’être que d’irrécupérables Imbéciles.

Frédéric SAENEN

Monique Gosselin-Noat, Bernanos, romancier du surnaturel, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 260 pp, 22, 90 €.

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