Dewaere, d'Enguerrand Guépy ? « Du cristal »…

Art de l’ellipse (ne cherchez pas la scène du suicide, c’est le point aveugle et forcément sourd de ces pages), nervosité du trait et de la formule, syntaxe parfaitement balancée au gré d’un souffle coltranien… Enguerrand Guépy réalise, à travers une prose calibrée, un sans faute. Autre salutaire mutisme – et qui n’a rien d’une omerta : il ne prétend amener aucune révélation, aucune nouvelle lecture de ce qui se serait résumé à un fait divers sordide s’il n’avait concerné le plus jeune monstre sacré du cinéma français.
On voit, on voit littéralement, ce violent au cœur d’hyperémotif rencontrer deux fois sur la journée le même chauffeur de taxi, la première alors que l'enthousiasme culmine, la seconde quand il touche le fond ; tendre les pognes en avant avec une grimace qui fait exploser de rire son public d’amis conquis ; saluer en mousquetaire avant de se rendre à la cabine téléphonique où il reçoit l’appel laconique qui scellera son destin ; et préparer son tomber de masque solitaire, l’effacement d’un visage qui lui rappelle trop celui du père inconnu, surgi de quelle mémoire abyssale et venu le happer à contre-destinée…
Ce jour de juillet 1982, on croise, au sortir de l’appartement où le gisant défiguré subit une expertise balistique, un Blier tétanisé, en proie sans doute au même questionnement qui tarauda Dewaere : « Et si le premier rôle dans Les Valseuses lui était revenu plutôt qu’au gros ? ». Trente ans plus tard, on assiste à la conférence d’un Lelouch toujours déchiré par le faux bond de ce roc fait « de cristal » que le réalisateur vouait à devenir un éblouissant Marcel Cerdan.
De cette noire légende qui n’est hélas qu’une triste histoire vraie, reste un acteur qui a tout de l'hapax dans l’histoire du cinéma hexagonal, qui ne jouait pas la rage mais la vivait, disant : « Ta scène, je vais te la faire, mais une seule fois » et démontant tout le décor. Reste « un frère parti fâché » (Guépy mérite un prix littéraire rien que pour cette formule) qu’on a envie d’étouffer dans une accolade à chaque fois que ce salaud se repointe. Reste cette épure nocturne, une page eau-forte, une page sanguine, qui compose une poignante mélodie en sous-sol et le premier roman-rush du XXIe siècle français.
Frédéric Saenen
Enguerrand Guépy, Un fauve, Éditions du Rocher, octobre 2016, 191 pp., 17, 90 euros.
7 commentaires
WIKI dit:
Merci, "FAL", de m'avoir permis de corriger cela.
Soyez assuré qu'en retour, si je venais à trouver l'une ou l'autre coquille dans l'une de vos contributions(mais ce serait un hapax, assurément!), je prendrai la peine de vous en faire part.
Peut-être aurai-je seulement, en membre moins narquois que vous envers mes confrères bénévoles en écriture, la délicatesse d'user de la fonction "message" du SL, qui nous permet, entre chroniqueurs, d'avoir des contacts plus discrets, partant réellement bienveillants.
Vôtre,
Frédéric SAENEN
Je regrette, et je suis sincère, que vous m'ayez mal compris. Ma remarque était en fait un hommage rendu à la qualité de votre prose.
C'est une juste une erreur, corrigée, comme on en fait tous, pas une honte en place publique. Pas au point d'être forcé d'utiliser la fonction "messagerie" comme si c'était une insulte.
FAL s'est expliqué à ce propos, pas la peine de revenir dessus : il s'agissait simplement de sa part d'une correction doublée d'un mot d'esprit qui mettait avant tout en avant les qualités de travail de l'auteur. C'était donc un compliment à son égard.
FAL
Très beau style ! Vous avez l'art de présenter ce roman, sans trop en dire, tout en nous mettant l'eau à la bouche. Bravo !