Louise Bourgeois et les surfaces de réparation

Pour Louise Bourgeois l'art est une suite de surfaces de réparation face aux douleurs de l'enfance. L'araignée, les tapisseries et les visages en passementeries lui permirent la visualisation métaphorique de ses traumatismes comme de ceux subis par son ascendante. Sortant la figure maternelle de sa chambre (à coucher ou de torture) l'artiste trouva dans le travail du textile un lieu et un lien impossibles à penser. Elle y a reprisé l’océan sombre de sa propre histoire dont  la création plastique est devenue une forme d’autobiographie sans concession au moindre narcissisme d'usage. 
 Cette esthétique de reconstruction allégorique offrit le transfert du singulier familial à l'expérience d'enfermement et de violence que connaissent les femmes. Par ce qu'elle nomma déguisement, travestissement et détachement, Louise Bourgeois mit en scène et en relief le plus perturbant selon une forme d'horreur qui ne manque jamais de puissance grâce à la force des images.
La créatrice éloigne d'un art-réalité en des œuvres ce qu'elle intitule les pièces à convictio. Sont-elles chargées d'espérance fantasmatique ou d'espoir dévasté par avance ? Il y a fort à parier que la seconde proposition reste la plus probable. Sidérante, violente, radicale l'œuvre répond à une forme de harcèlement. En sa rhétorique spéculaire particulière elle parvient à déboulonner le surmoi des pères et des maîtres. L'œuvre textile rejoue ce qui surgit soudain de la mémoire et du magasin de confection de ses parents. Elle renvoie des images sourdes et ravageuses, un foyer de fureur où s'active la lente rotation du plein et du vide. 
 
Jean-Paul Gavard-Perret

Louise Bourgeois, The spider and the Tapestries, Hatje Cantz, Berlin, 2020, 102 p.-, 28€

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