L’Univers sans l’Homme

Reproduit à l’échelle humaine, la présence de l’Homme dans l’histoire du monde, et encore plus généralement celle du cosmos, est à peu de chose près l’équivalent d’une seconde – ou deux – autant dire, rien. Nada. Insignifiance totale, magistrale absence de tous les compteurs… Humilité qui devrait donc nous préoccuper un peu plus, surtout en ces temps d’ego surdimensionné…

 

Ce postulat de départ a saisi Thomas Schlesser quand un ami lui fit remarquer que notre société s’attelait à penser un Monde sans l’Homme. Il n’en fallut guère plus pour que la machine intellectuelle se mette en route et voilà notre essayiste au travail. Après de longues années de labeur, cet ouvrage vit le jour, fruit d’un travail qui a été présenté une première fois dans le cadre d’une Habilitation à diriger des recherches, conduite à 2015 à l’Université Paris-I.

 

Cet essai très largement et joliment illustré (l’avantage des ouvrages de grande taille) fait la généalogie d’une altération : cette focale qui s’était établie à la Renaissance. En effet, le Quattrocento fut un moment où le tableau devint l’objet d’une projection inédite, là où « se sont inscrits les premiers efforts des hommes pour construire un univers à la mesure de leurs nouvelles possibilités, techniques et spéculatives ». N’oublions pas que c’est à partir de cette période qu’ils sont parvenus à dessiner et à figurer concrètement les formes et les attributs d’un espace infiniment plus ouvert que celui des générations précédentes.

À cela s’ajouta le désir de réorganiser le monde.

 

Mais pareille entreprise revêt d’entrée un caractère impossible ; aussi le corpus sur lequel repose cette généalogie – si l’on y avait admis n’importe quel paysage désert ou tout tableau abstrait – aurait rapidement été illisible. Thomas Schlesser a donc opéré un choix stratégique : accompagner les œuvres de textes en rapport direct avec le dessein du projet.

Le tout construit autour de quatre points cardinaux selon deux axes croisés. Un axe temporel : l’univers sans l’Homme  serait celui de l’ancestral, d’un passé où il ne marchait pas encore. Un axe spatial : l’univers sans l’Homme c’est celui de la dimension macroscopique, qui traque des territoires dont il est absent.

De manière plus subtile on peut aussi dire que l’univers sans l’Homme est aussi celui où sa focale sur les choses se désincarne…

 

Moment crucial de cet ouvrage, le passage d’un choc des origines à un choc du devenir, d’un vertige rétrospectif à l’incertitude angoissée du lendemain.

 

Du règne absolu de la Nature à la séparation entre ses différentes strates de pouvoir mises à mal par les théories de l’évolution, la peinture est parfois remplacée par le théâtre, notamment celui expérimental de Maeterlinck, où le corps est dématérialisé au profit d’une pure matière.

L’art devint alors abstrait et modèle en écho les espaces, c’est l’avènement des concepts : robot inquiétant de Karel Capek ou mécanique déglinguée de Jean Tinguely.

 

Puissante somme à lire sur une table dans une belle lumière pour associer à l’érudition du propos la magnificence des reproductions.

 

François Xavier

 

Thomas Schlesser, L’Univers sans l’Homme, 260x285, +200 illustrations, Hazan, octobre 2016, 288 p. – 56,00 €

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