Les "Contes nocturnes" de E. T. A. Hoffmann nous plonge dans une nuit obscure

Hoffmann (1776-1822) est un homme à cheval. Sur deux siècles, tout d’abord : formé au XVIIIème, révélé au XIXème. Le hasard qui a de l’humour le fait naître dans la ville de Kant. Mais c’est bien vers la musique qu’il ira tout d’abord. Mozart le renverse. À cheval aussi sur les conventions : à onze ans il stigmatise de plaisanterie musicale la K.52, dite Ein musikalischer Spass. On voit qu’il ne manquera pas d’humour. D’ailleurs l’origine de ses content peut très bien se recouvrer dans des réminiscences de conversations entre amis. Ou autour d’un verre, dans une taverne... 


Par exemple à Berlin, en 1815 quand il fréquentait la confrérie dite des Frères de Saint-Sérapion.
Et après une bonne soirée entre connaissances, on se souhaite la bonne nuit. Une expression qui pourrait prêter à sourire quand on imagine son contraire : la nuti cauchemardesque. Or, dans les Contes nocturnes, la formule revient souvent. Dans L’Homme au sable comme dans La Maison déserte. Malgré la différence entre l’inquiétude de la mère qui le souhaite à ses enfants et l’ironie du vieil intendant, demeure l’angoisse d’un possible différent de celui attendu. Sommes-nous dans les prémices de la SF ? Se pourrait-il que tout ne se déroule pas comme prévue ? 


Pour bien nous le montrer, il y a un sentiment qui se glisse là. Entre les lignes. Plus fort que l’opposition bon/mauvaise nuit. Il y a un degré d’intensité. Une forme de profondeur. Une manière de nous dire que le noir absolu peut aussi être un noir rayonnant, comme le souligne Pierre Brunel dans sa préface. Une sorte de soleil noir qui annonce les fleurs que Baudelaire aura le courage de remonter des abysses...


Mais toutes les nuits ne sont pas identiques. Toutes les terreurs semblables. Et si les notions d’intensité et de profondeur peuvent se recouvrir, elles se différencient néanmoins. Tantôt ténèbres extérieures s’épaississant. On s’aimante face au décor qui plonge du soir à la nuit. Tantôt ténèbres intérieures qui s’ouvrent sur une nuit antérieure. De l’ancienneté révélée se déboule une nuit mythique. Une nuit sans fin... 


On est aux portes de la folie. Edgar Allan Poe n’est pas si loin... La construction romanesque permet à Hoffmann de prendre une distance avec la conception d’un inconscient-refuge, cette nuit de l’âme si prisée par Novalis. Ce sont donc bien des contes obscures présentés dans l’édition originale de 1817, en deux séries de quatre contes regroupés par Hoffmann lui-même. On signalera les analogies frappantes entre le premier conte de chacune des deux séries. En cela on peut les considérer comme d’authentiques correspondances. Ils contribuent d’ailleurs à l’impression d’unité que laisse la lecture du recueil. Lequel est habité par un "fantôme" qui passe repasse. L’homme à l’habit noir, qu’il soit Coppélius dans ses vêtements de nuit. Ou l’intendant de la maison déserte qui arbore un habit couleur café brûlé.


Nota :
Ce volume contient :
L’Homme au sable
Ignace Denner
L’Eglise des Jésuites
Le Sanctus
La Maison déserte
Le Majorat
Le Vœu
Le Cœur de pierre


Annabelle Hautecontre


E. T. A. Hoffmann, Contes nocturnes, édition établie par Pierre Brunel, traduit de l’allemand par F.-A. Loève-Veimars, Gallimard, Folio classique n°5357, mars 2012, 560 p. - 8,40 €    

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