Celle qui a renoncé à vivre deux fois : entretien avec Agnès Pezeu.

 

 

 


Agnès Pezeu par sa peinture et ses actions « épuise » présente le corps de manière intempestive.  Son « lieu » n’est plus seulement celui de la trace, du reflet mais celui des parages et des confins du désir comme de l'indécis et du seuil où l'être (féminin) à la fois se délite et résiste en une jointure fragile, ineffable et joyeuse. La peinture devenue texture du corps se charge de ses métamorphoses.

 

 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? L' envie d'expérimenter la vie

 

Que sont devenus vos rêves d’enfant ? Ils sont toujours là et je les réalise peu à peu!

 

A quoi avez-vous renoncé ? À vivre 2 fois !

 

D’où venez-vous ? J'ai pris racine dans le sud de la France mais je me sentais à l'étroit dans ce pays sec. J'ai donc émigré au nord, pour trouver un peu de sève. En réalité, aujourd'hui ,  je suis  une terrienne vagabonde

 

Qu'avez-vous reçu en dot ? De l'énergie

 

Qu'avez vous dû "plaquer" pour votre travail ? Je crois n'avoir rien plaqué car je veux tout .

 

Un petit plaisir - quotidien ou non ?  Être seule dans mon atelier . C'est aussi mon angoisse quotidienne

 

Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ? Mon énergie et ma rapidité me distingue des autres artistes. C'est d'ailleurs l'essence même  de mon travail

 

Quelle fut l'image première qui esthétiquement vous  interpela ? Les images qui m'ont  marqué,  se sont les fresques de Giotto. L'incroyable  simplicité des personnages et des architectures, des couleurs réduites et une expression des visages qui  donnent  toutes les intentions ou les tensions. J'avais 16 ans et je n'ai jamais oublié les fresques de chapelle Scrovegni .

 

Et votre première lecture ? Ma première vraie lecture fut « Madame Bovary ». Une lecture incroyable à l'adolescence alors que j'habitais dans une ville reculée des Cèvennes . Ce fut mon  premier choc avec  la littérature où tout d'un coup j'ai pris conscience que j'étais une femme. Je n'avais juste pas envie de vivre ces émotions amoureuses mais les sentiments amoureux d'Emma m'ont en même temps troublé.

 

Comment pourriez-vous définir votre travail sur les jeux de décadrages ? Je ne sais pas vraiment ce que veut dire" les jeux de décadrages ". Mais  mon  travail joue sur la verticalité et l'horizontalité. Je peins le corps de l'autre sur une toile posée à l'horizontal  et mes œuvres sont présentée à la verticale, sans sens prédéfini. J'ouvre la porte d'une certaine lecture et je laisse les clefs au "regardeur",  libre de ses intentions et émotions par rapport à l'œuvre  . Les corps peints n'ont pas d'apesanteurs et racontent donc des histoires différentes selon le sens de présentation! Cette situation crée en même temps,  un dialogue avec mes collectionneurs .

 

Quelles musiques écoutez-vous ? J'écoute Chopin, car il y a tous les sentiments dans cette musique et en même temps  une grande modernité. Serge Gainsbourg ne s'y est pas trompé ! Le piano chez Chopin est comme un frisson  et je peux l'écouter des heures selon les interprètes.

 

Quel est le livre que vous aimez relire ?  J'aime relire "24 heures de la vie d'une femme" de Stefan Zweig , c'est à chaque fois une écriture dans laquelle je plonge comme dans une œuvre peinte . Tout est tellement en place! Et c'est en même temps écrit comme un roman policier.

 

Quel film vous fait pleurer ? " Le prophète " de jacques Audiard

 

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?  Je me vois..... et je m'étonne à chaque fois de voir cette image que je ne connais pas .

 

A qui n'avez-vous jamais osé écrire ?  À personne encore

 

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ? Mycènes , est un lieu mythique pour moi , impressionnant par sa situation et les blocs de pierre qui le constitue mais c'est aussi la base de notre civilisation : des fondements biens solides!

 

Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?  J'admire, je regarde et je me sens très proche de  Tiepolo et Baselitz . Ils arrivent tous les deux  à des siècles de distance à donner au corps force et puissance mais aussi légèreté et immatérialité.

 

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?  Une œuvre d'un autre artiste

 

Que défendez-vous ? Je défends l'idée d'intégrer des œuvres à l'architecture afin qu'elles accompagnent le regard  au quotidien.

 

Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"? Je trouve cette phrase trop complexe. Je vois les choses plus simplement,  après avoir beaucoup repensé à l'amour reçu dans mon enfance et celui que je suis capable de donner adulte à ceux qui m'entourent... j'espère qu'ils en veulent !

 

Que pensez-vous de celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?" Je pense que  c'est ce qu'il y a de plus positif et j'adore cette idée ...mais c'est plutôt  aventureux!

 

Quelle question ai-je oublié de vous poser ? Où voulez vous aller?

 

Entretien réalisé par Jean-Paul Gavard-Perret, mai 2014.

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