Interview. Domitille Marbeau Funck-Brentano : "Non, ce n’est pas mon livre qui m’a aidée à trouver ma place"

Avec la publication de son roman « L’écho répété des vagues », Domitille Marbeau Funck-Brentano réalise un rêve qu’elle a eu depuis toujours : celui d’écrire.  C’est par ce moyen qu’elle réussit à mieux exprimer ses émotions et à faire ressurgir du passé des personnes chères à sa mémoire, des êtres proches qui ont tant marqué son enfance : ses grands-parents, ses parents et ses sœurs. Interrogée sur sa manière de rédiger ses souvenirs, elle met en avant sa façon romanesque de leur donner vie et insiste sur la valeur du style dans l’exercice de l’écriture. En effet, comment aurait-elle pu «faire la part du réel et de l’imaginaire», comment aurait-elle réussi à convoquer les figures et les lieux chers de son enfance si ce n’est à l’aide de cette invention romanesque qui lui donne la totale liberté d’une élection façonnée par une affection intacte ? 

 

Vous avez affirmé à plusieurs reprises qu’écrire a été pour vous une occupation de très longue date, ce qui m’incite à vous poser cette question : depuis quand écrivez-vous ?

Je vais peut-être vous surprendre, mais j’écris depuis l’âge de 4 ans. Ma première inspiratrice a été la Comtesse de Ségur. J’ai encore un petit carnet écrit au crayon avec des dessins très naïfs illustrant le texte.

J’étais également marquée par la  figure de cette sœur aînée décédée à l’âge de 20 ans quand j’avais moi-même 3 ans dont ma grand-mère me lisait les poèmes qu’elle avait écrits enfant et je voulais trouver par l’écriture auprès de ma mère l’attention que je désirais tant qu’elle me témoigne.

 

Aviez-vous à cette époque conscience qu’un jour vous franchiriez le pas vers la publication et deviendriez un vrai écrivain?

Non, écrire n’était pas du domaine du rêve, puisque j’ai toujours écrit. La question était de savoir si un jour je serais publiée et pour cela j’avais le sentiment que je n’avais rien d’original à apporter.


Pourquoi avoir choisi votre enfance comme période de prédilection à votre histoire personnelle ?

C’est après avoir lu les livres de deux auteurs israéliens, Amos Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres et  Amir Gutfreund, Les gens indispensables ne meurent jamais, que la nécessité d’écrire et de publier s’est imposée à moi, faire revivre par l’écriture ces gens indispensables, ces membres de ma famille qui m’ont permis d’être ce que je suis aujourd’hui qui m’ont servi de modèle et qui forment le socle de ma construction. J’ai voulu aussi peindre une société qui n’existe plus et rendre hommage à cette famille hors du commun qui m’a donné le goût de la littérature, de l’art et de l’engagement politique dans cette période de l’après-guerre où émergeaient  tous les possibles.


La  problématique centrale de votre livre semble être la relation avec votre mère. Ces rapports mère/fille n’ont pas toujours été faciles. Qui était votre maman, et quelle place vous a-t-elle réservée au sein de votre famille ?

Je ne sais pas si la relation avec la mère est la problématique centrale de ce livre, pour ma part, ce n’est qu’une des composantes. La problématique essentielle est la mort à laquelle l’héroïne est confrontée dès l’âge de 3 ans. Comment se construire quand le principal outil que reçoit l’enfant est une faux ? Elle voit disparaître successivement un cousin de 16 ans, une sœur de 20 ans et puis c’est son cousin de 23 ans qui se suicide et elle perd sa mère subitement quand elle a 15 ans. La vie prend alors une valeur exceptionnelle, c’est un bien inestimable qu’elle chérit plus que tout.


Et vos sœurs ?

Mes sœurs, les deux qui me restent après la mort de l’aînée, étaient beaucoup plus âgées que moi et je vivais très mal cet écart, ne me reconnaissant ni dans le monde des adultes, ni dans celui des enfants de mon âge dont je ne partageais rien.  Je voulais combler cette différence en essayant de rattraper le temps qui me manquait par la connaissance du passé que je n’avais pas vécu, d’où la passion qui ne m’a jamais quittée, de l’histoire et de la littérature.


Vous parlez très peu, ou pas assez, de votre père. Pourquoi ? Qui était-il ?

Mon père était très effacé, il était écrasé par la personnalité de ma mère qui le dominait. On le considérait un peu dans la famille de ma mère comme le prince consort. Aujourd’hui, je trouve cela injuste et le travail que j’ai fait en travaillant sur l’histoire de ma famille m’a permis de lui redonner sa juste place.


En revanche, vos grands-parents occupent dans votre vie d’enfant et d’adolescente une place très importante. D’abord, votre grand-père maternel de qui vous avez hérité l’amour pour la musique.

Oui, j’ai été élevée par grand-mère jusqu’à l’âge de dix ans et demie. Je ne voyais mes parents que le dimanche et pendant les vacances, ce qui ne me troublait pas du tout car je recevais tellement d’amour de ma grand-mère que je ne souffrais d’aucun manque. C’est plutôt la réaction de l’entourage qui me déstabilisait en voulant me  laisser  croire que  ma mère m’abandonnait, ce qui me révoltait, car ce n’était pas du tout ce que je ressentais.

Mon grand-père est mort quand j’avais 4 ans et je me souviens de ces moments extraordinaires où j’écoutais les opéras de  Wagner en 78 tours, serrée contre sa poitrine. Il m’a confiée  ma grand-mère avant de mourir, m’annonçant son départ, alors qu’il n’était pas du tout malade, quelques heures avant que son cœur cesse de battre suite à un infarctus.  Je n’ai pas été triste, il m’avait mis dans le secret et m’avait confié une mission que je devais remplir. Je crois que ce jour là je suis devenue une adulte. 


Ensuite, votre grand-mère, «une grand-mère de contes de fées» comme vous la décrivez avec beaucoup d’affection. Quel a été son rôle dans votre vie d’enfant et d’adolescente ?

Ma grand-mère était un jardin d’amour. Elle est morte un an avant la naissance de ma fille qui porte un de ses  prénoms.


«Raconter une maison, c’est raconter l’Univers», écrivez-vous. Il s’agit, en occurrence, de la maison familiale de La Baule, en Bretagne que vous décrivez avec une visible nostalgie. Qu’a-t-elle représenté pour l’enfant que vous étiez et que représente-elle pour vous aujourd’hui (ou tout au moins le souvenir que vous gardez d’elle)?

Je ne peux évoquer cette maison sans sentir les larmes mes monter aux yeux. Ma grand-mère y régnait en fée, rassemblant autour d’elle tous ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants. Nous formions une vraie famille qui se retrouvait tous les étés durant ces vacances qui duraient à l’époque 3 mois.

Les liens qu’elle a tissés durent toujours aujourd’hui, c’est une des forces indéfectibles qui unit la famille Funck-Brentanto.


En réalité, si l’on regarde de plus près, on se rend compte qu’il y a plusieurs maisons qui ont joué un rôle important dans votre vie. Ne faudrait-l pas rajouter à celle de la Baule, les deux maisons parisiennes, celle de vos grands-parents sur la rive gauche et celle de vos parents sur la rive droite ?

J’évoque ces deux maisons, l’appartement de la rue de Prony, rive droite et de la rue de l’Université, rive gauche comme deux membres d’un même corps qui me faisaient vivre cette sensation d’entre-deux, entre-deux maisons, entre-deux générations, entre-deux vies, celle ici-bas et celle au-delà car je vivais aussi en permanence avec les morts.


Vous tenez de votre grand-père maternel une grande passion pour l’Opéra. Cet univers fascinant vous a marqué pour toujours. Que veut dire «vivre sa vie en artiste» devise comme vous sembliez adopter à l’époque ?

Oui, l’art lyrique et la danse ont toujours tenu une place essentielle dans ma vie. Peu après mes 30 ans, j’ai été nommée chargé de mission à la direction de la musique, de l’art lyrique et de la danse au ministère de la culture, ce qui ne peut être dû au hasard.

Vivre en artiste, c’est difficile à expliquer. Un de mes amis écrivains, Gérald Messadié, qui écrit aussi sur ce blog, m’avait écrit quand j’avais 20 ans : «Les demoiselles Brentano vivent leur vie comme un poème.» Vivre en artiste, c’est créer un environnement où l’art est omniprésent, où les relations avec les autres  prennent la forme d’une œuvre d’art car elles ont quelque chose d’exceptionnel…. 


En imaginant la vie comme «un jeu de cartes dont le temps avait brouillé la distribution», vous vous interrogiez si ce n’était pas à vous de trouver votre place dans le monde.

Dans quelle mesure ce livre vous a-t-il aidée à le faire ?

Non, ce n’est pas mon livre qui m’a aidé à trouver ma place, c’est parce que je l‘ai trouvée que j’ai pu l’écrire, ce qui est tout à fait différent.


Avez-vous des projets d’écriture? Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Oui, je suis en train de terminer un roman dont le titre est Le baiser de Fasolt. L’action a pour décor le festival de Bayreuth 1978 lors de la production mythique de Chéreau et Boulez. L’héroïne qui s’appelle Alice, comme Alice au pays des merveilles, tombe amoureuse d’un personnage qu’elle surnomme Fasolt, car il ressemble à un des géants de L’Or du Rhin. Et elle ne sait plus ce qui est du ressort de l’opéra ou de la vie et c’est cela, le miracle de Bayreuth : Wagner nous parle par chaque note.

Ce livre sera court, une centaine de pages au maximum, un long poème où la musique, la forêt franconienne, jouent, au même titre que les personnages de la Tétralogie et ceux qui représentent le public, un rôle essentiel dans le déroulement de l’action.



L’écho répété des vagues, Domitille Marbeau Funck-Brentano, Éditions L'Harmattan, 2012, 158 p. 16,50 euros.


Propos recueillis par Dan Burcea


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