Jazz. Michel Pastre, Alex Freiman, Thierry Mariétan : Entre filiation revendiquée et émancipation radicale…

D’abord, une valeur sûre. Depuis des lustres, Michel Pastre occupe une place de choix sur la scène du jazz. Considéré à juste titre comme l’un des meilleurs représentants du courant classique, communément appelé swing, ou mainstream, ce saxophoniste ténor de la lignée des géants que furent Coleman Hawkins et Lester Young en perpétue la tradition de manière exemplaire. Un son plein, un swing constant, une imagination jamais en défaut en font un soliste plein de ressources. En outre, leader de groupes avec lesquels il a réalisé des enregistrements remarquables. Ses disques à la tête d’un big band homogène restent dans la mémoire des amateurs. Plus récemment, son album « Charlie Christian Project » a reçu en 2015 le Prix du Hot Club de France. Récompense ô combien méritée par ce musicien discret.

Nous ne quittons pas la période swing avec cet hommage à Lionel Hampton, enregistré avec le même quintette. David Blenkhorn (guitare), Sébastien Girardot (contrebasse) et Guillaume Nouaux (batterie) en constituent l’assise rythmique. Connu par ailleurs pour se produire dans les concerts et festivals en France et à l’étranger (il est devenu l’une des valeurs sûres du festival d’Ascona, en Suisse) et avoir enregistré à l’enseigne de La Section rythmique, ce trio d’une homogénéité à toute épreuve se montre digne des solistes qu’il propulse avec maestria. Outre le leader au ténor et le trompettiste Malo Mazurie, deux invités : le clarinettiste Ken Peplowsli et le vibraphoniste Dany Doriz. Le premier, technicien accompli, se situe dans la lignée de Benny Goodman. Quant au second, il a été adoubé par Lionel Hampton lui-même qui le considérait comme l’un des ses meilleurs disciples. C’est assez dire que la conjonction de tels talents sur un répertoire de standards éprouvés (Avalon, Flying Home, Jack The Bellboy et autres succès hamptoniens y tiennent une bonne place) procure un plaisir jubilatoire que plusieurs écoutes ne sauraient entamer. A recommander sans restriction.

Pour son premier disque, le guitariste, compositeur et chanteur Alex Frreiman est, lui aussi, fort convaincant. Non seulement son solide bagage technique se situe à la hauteur de son inspiration, mais il a su s’entourer de partenaires au talent éprouvé : le batteur Leon Parker, aussi efficace que « minimaliste », qui fut le partenaire du pianiste Jacky Terrasson, l’organiste F.red Nardin, le trompettiste Julien Alour, l’un des espoirs de la jeune génération, ou encore, en invité, un autre trompettiste, Stéphane Belmondo, auteur, sur Skylark, d’un brillant solo. Le saxophoniste César Poirier et le chanteur Mario Ponse-Enrile complètent cette valeureuse phalange. Celle-ci s’inscrit dans la tradition d’un jazz chaleureux, qui fait fructifier, en l’actualisant, le langage du swing. Le blues y a sa place (Mr. Ginger) et les ballades (My Heart Belongs To Mummy, au titre plaisamment détourné). Quant au répertoire, il ménage un équilibre bienvenu entre standards et compositions du leader.

Du reste, l’impression dominante laissée par cet album pourrait tenir en ce seul mot : équilibre. Equilibre entre un jazz classique, voire vintage, dont on retrouve tous les ingrédients, y compris l’instrumentation, et innovation qui intègre les apports extérieurs les plus pertinents, tel le groove tel qu’il est pratiqué par nombre de formations contemporaines. A suivre !

Autre guitariste, autre style. Thierry Mariétan et son trio (Yoram Rosilio, contrebasse, percussions, Benoist Raffin, batterie) assignent, il est vrai, à leur musique, d’autres motivations et ambitions. Selon le leader, « FishEye, c’est une musique instinctive, basée sur les émotions venant de l’inconscient des musiciens. (…) C’est l’inconscient et son inéluctable plongeon dans la recherche du pourquoi de l’être. Seule l’improvisation peut arriver à ce désir de prise de risque, cet abandon du Soi sous-jacent qui peut mener à la découverte d’un nouveau territoire du Moi. » Vaste programme !

Les titres des morceaux collectivement « composés » – mais s’agit-iil vraiment de morceaux, ou plutôt de séquences découpées arbitrairement ? – sont à l’avenant : Panorama paranormal, Reencountering Of A Speaking Ice Cub, Inconscience-catastrophe-double conscience… Nous voilà prévenus. Une telle musique, ou un tel assemblage de sons improvisés, décourage d’emblée l’analyse. Mieux, lui ôte délibérément, dans son désir de larguer les amarres, toute légitimité et toute pertinence. Dépassé, le jazz le plus free ! Du reste, hormis la formule du trio, rien qui fasse référence au jazz. Pas même l’improvisation, qui s’affranchit, ici, de toute allusion, fût-elle implicite. Une telle exploration des abysses, dans une démarche qui n’est pas sans rappeler celle des Surréalistes, peut séduire ou laisser de marbre, c’est selon. Elle pourrait bien constituer un fleuron de cet art que l’on dit « conceptuel » et selon lequel l’œuvre ne vaut que par le discours qu’elle inspire.

Jacques Aboucaya

1 – Michel Pastre 5tet feat. Dany Doriz & Ken Peplowski, MPQ002 / mpastre @sfr.fr

2 – Alex Freiman, « Play It Gentle », Gaya / Socadisc

3 – Thierry Mariétan Trio, « FishEye », Jazzmobile / Jazzmobile2@yahoo.fr

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