Jean-Michel Espitallier ne court pas après le sport

Sa dernière action de jeu est un essai en forme de 
théorème d'Espitallier, soit une suite logique de 
réflexions sérieuses comme le plaisir sur la vie, la mort mais surtout la vie que l'on veut allonger toujours. Toujours plus, toujours plus svelte. Toujours est devenu un synonyme de sport à perpétuité.

Continuité axiomatique de Cent quarante-huit propositions sur la vie et la mort (Al Dante, 2011), l'ouvrage mené au pas de charge vise l'obligation d'hygiène de vie, l'ensemble des règlements actuels sur l'abstinence et ses corollaires : "trouver le sommeil, avoir la pêche, rafraîchir la mémoire, enrayer le trac, grandir plus vite, bronzer malin, soulager la douleur, gommer les rides, réguler le transit, blanchir le râtelier, faire redescendre les ardeurs, éclaircir la voix, déboucher les oreilles, calmer les nerfs ...".

Descriptif aigu des "pratiques agitatoires" sur le bord de la route en solo desperado ou en meute carnassière, L'Invention de la course à pied (et autres trucs) va au bout de cette question : courir pour se sauver mais pour se sauver de quoi ? La prison de nos corps soumis à l'usure des joints, à l'entropie que ralentirait la course.

L'homme a inventé le bien, le mal et toutes sortes de choses "qui ne lui servent strictement à rien". La course à pied, sujet d'étude d'Espitallier, est la preuve de sa capacité à créer du n'importe quoi susceptible de devenir un abominable jeu de massacre. Ce que développe l'auteur en originant la course à pied au temps qu'un ancien Grec, assurément présocratique, détecta une carrière à la ressemblance d'une grosse marmite, légèrement circulaire, à l'écart de la cité. Le stadion né du hasard, et probablement de l'ennui, allait servir à quelque chose qui ne serait pas grand chose mais tout de même un spectacle. En effet, le stade précède la course qui anticipe les rassemblements. Pour le meilleur et pour le pire. Ce qui nous amène à la chute.

Les vivats du stade sont parfois des sanglots de gorge égorgée. Voir le Stade Gatwaro, Kibuye, Rwanda (avril 1994). Et puis considérer un champ de tortures étouffées par des airs de fête. Voir l'Estadio Nacional de Chile, Santiago-du-Chili (septembre-novembre 1973) : "Les haut-parleurs du stade diffusaient alors en boucle les  Beatles ou les Rolling Stones pour que la population vivant alentour n'entende pas les cris des prisonniers."

Mieux vaut lire (que courir) ce grand petit livre de poète qui n'aime pas le sport (ni la guerre), à l'exception du vélo, et préfère à toute forme de gesticulation nous instruire, si possible en souriant de toutes les couleurs.

Guy Darol

Jean-Michel Espitallier, L'Invention de la course à pied (et autres trucs), Al Dante, janvier 2013, 48 pages, 9€.


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