Le grand corps malade de Jean-Pierre Siméon

Voici l’amour convoqué au banc des études, catégorie "poésie" (sic) : nouvelle théorie – poétique certes mais depuis quand la poésie est affaire de théorie ? – et toujours dans le même sens qui frise le mièvre tant ça dégouline comme poésie d’adolescence. Qu’est-ce donc que cet amour qui aurait un corps pour penser ? Qu’est-ce donc que cette affirmation qu’aimer c’est par la chair ? N’importe quel psy – chiatre, chanalyste, chologue – vous racontera l’une des énièmes plaintes en questionnements de son patient éperdument amoureux et frappé d’impuissance. Non, l’amour n’est pas la chair. L’amour peut, à la rigueur, être la chair au mitant d’une passion quand les énergies survoltées franchissent le Rubicon. Gandhi l’a parfaitement explicité dans son dessein d’abstinence et de communion cérébrale…
L’amour ne se résume pas dans une simple attirance physique, il se doit d’être spirituel, omnipotent et absolu, c’est bien là son principal défaut si bien que l’on ne peut l’admettre qu’à la seule fonction des relations parents-enfants ; tout le reste ne relevant que d’un jeu social, humain, complexe et pervers qui offre des clés pour maintenir en captivité un être humain au seul privilège d’une émotion si vite retournée dans son plus vif retour, cette haine qui jaillit spontanément dès lors que l’objet aimé se rebiffe.
Car l’amour humain n’a qu’un temps, celui d’une relation attisée par un corps et épuisée par le quotidien ; puis relancé par un autre corps et ainsi de suite, si bien que ce n’est donc pas de l’amour mais bien un jeu de pulsions qui déchire la raison, envoie des hommes mûrs solliciter de très jeunes filles, pousse des écrivains à pondre des vers ronflants – de la ligne frémissante des seins à la courbe des hanches tu es un saut de la rivière dans la brume bleue du matin – des clichés mille fois lus. D'ailleurs il est très rare de voir un vrai poète chez un universitaire: on ne peut pas être juge et partie, on ne peut pas analyser, commenter, étudier au plus près la Littérature et avoir cette folie qui permet de s'en extraire, de marcher sur l'eau, d'être fou, violent, injuste, merveilleux, solaire et guerrier, en un mot poète, donc libre de toute convention...

Si l’attirance pour un être est une chose plaisante, si l’idée de poser sur la page blanche ses émois est une liberté fondamentale ; par contre publier est une autre histoire. On est ici proche de la médiocrité des lettres de François Mitterrand qui ne dépassaient pas le niveau d’un élève de 3e, mais c’était François Mitterrand donc le tiroir-caisse avant tout, même rue Sébastien Bottin… On est loin de l'époque si chère à Pierre Lepape qui voyait Gallimard en gardien du temple et s'offusquait dans les colonnes du Journal des Livres, dans Le Monde, de l'arrivée de Philippe Dijan dans la Blanche.

Si Jean-Pierre Siméon fait appelle à Rûmî pour évoquer ce chercheur de ruisseaux, j’en conviens avec lui et Salah Stétié que l’eau froide gardée est un Graal bien au-dessus des capacités de l’homme ; évidence qui implique de savoir raison gardée dans ce maintien si cher à Camus pour se tenir dans la maîtrise de ce corps affolé qui n’est rien d’autre que le pire instrument de profanation qui soit… Si l’amour est la beauté épargnée par la mort on en parvient alors à aimer beaucoup trop de choses, paysages, instants, musique, etc. Or, n’est-ce pas plutôt un cache-misère qui permet de justifier des pulsions, quelles soient maniaques, sexuelles, consuméristes, politiques et que sais-je encore ?
Amour, mot-valise galvaudé qui dépeint bien trop d’émotions et de sentiments qui, désormais, fréquente les publicités pour les desserts, les voitures... puisque nous sommes passés au-delà de la bienveillance : le wokisme emporte tout sur son passage, et après tout tant mieux ! Car d’amour il ne saurait en être question quand il ne s’agit que de justifier un vulgaire désir : pour un corps, un morceau de chocolat, un tissu… L’époque actuelle qui mélange tout dans un cocktail nauséabond d’égalitarisme total oublie les nuances et la hiérarchie des valeurs : non, tout ne se vaut pas… l’universalisme a bon teint mais il y a, nonobstant, des différences fondamentales.

Et cet amour qui affaiblit en donnant prise à l’autre, consciemment ou pas, pour parvenir à ses fins, obtenir gain de cause, assouvir un caprice, est un fléau ! Iouri Bouïda évoque dans Le train zéro cette "quête de muqueuses" qui fait tourner la tête aux hommes et que les femmes ont parfaitement assimilée depuis des siècles, tenant ainsi leur mâle par l’appendice fatal. Jeu de pouvoir, de séduction… Depuis Dante l’amour s’en est allé, amour courtois puis amour jetable en phase avec la société. Gageons que la poésie est autrement défendue, ailleurs.

François Xavier

Jean-Pierre Siméon, Une théorie de l’amour, Gallimard, octobre 2021, 110 p.-, 12 €
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