Pourrait-on encore soliloquer de nos jours ?

Gabriel Randon, dit Jehan Rictus, né en 1867, en sait quelque chose. Enfance difficile. Quitte l’école à 14 ans. Vit de petits métiers. Fréquente les anarchistes. Montmartre. Vie de façon précaire. Puis se lance en écrivant des poèmes en argot parisien. Il les lit le soir, au Chat noir entre deux morceaux d’Éric Satie. Et cela donnera bien des années plus tard ce livre… inclassable. Sans équivalent dans l’histoire littéraire. Un coup de fouet qui annonce Prévert, Queneau…

Les textes ici rassemblés sont issus de l’édition de 1903. Ils respectent l’orthographe, les particularités typographiques (sic) et la ponctuation. Embarquement pour le pays des éclairs. Une ville où tout se joue sur le trottoir. Une ville qui mugit. Qui s’époumone. Qui broie. Pour survivre la dérision comme arme ultime. Jehan Rictus en saltimbanque et rebelle. Diseur de vérité et non de bonne aventure. Agaçant, narcissique, volcanique, fascinant. Il crie il hurle il scande. Le troubadour des grands boulevards de la déglingue se veut tranchant. Ses vers découpe l’air irrespirable des faubourgs. Il récite avec véhémence.

Ah ! pis y a c’potin de la rue
fait des embarras d’omnibus,
des claqu’ments d’fouets, des roues d’camions,
des engueulad’s de collignons ;

pis, v’la l’bataillon des gonzesses,
les frangin’s aussi du turbin,
qui trottent vite en bavardant,
en s’gondolant, en chahutant
[…]

 

Plus il bave sur la bonne société plus on l’encense. Son texte le plus connu (et le plus demandé), se nomme Le Revenant. Il y campe un Jésus de retour sur Terre. Contraint de vivre le calvaire des laissés-pour-compte et des sans abris.
Chantre pionnier des SDF, Jehan Rictus est l’oublié des anthologies de poésie. On se demande bien pourquoi. Voici donc l’épopée des gueux, des sans-dents, qui survivent au jour le jour sur les grilles de métro.

 

Annabelle Hautecontre

 

Jehan-Rictus, Les Soliloques du pauvre suivi de Le Cœur populaire, préface de Patrice Delbourg, édition de Nathalie Vincent-Munnia, Poésie/Gallimard, novembre 2020, 400 p.-, 9,50 €

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