Les Contes d’Orsanne de Robert Alexis revisitent les lois de l’amour
Exit alors la morale et laissons chacun s’en sortir comme il l’entend ?
Sans doute est-ce pour cela que le narrateur se retira du monde dans son château d’Orsanne, seul avec le fidèle Stéphane, colosse au cœur tendre qui parle peu et se nourrit l’esprit d’un almanach à la nuit tombée, avant de partir en forêt chasser le repas du lendemain. Nora vient de partir et le propriétaire s’enferme dans son cabinet de curiosités pour s’adonner à son vice préféré, sa drogue absolue : écrire ! Quel bonheur d’écrire, avoue-t-il lors d’un entracte glissé entre les trois contes qu’il va dépeindre d’une plume serrée, précise et érudite, offrant au-delà du plaisir de lecture, l’émerveillement du détail (la rue caladée), l’enchantement du mot juste (la bouche qui s’arrondit sur un sexe spumeux), rare (l’œil assagi à l’ubac du visage en trois-quarts), technique (doupion de soie) déniché derrière les fagots de généralités pour une fois délaissées. Quel régal !
Ruant dans les brancards policés des convenances, Robert Alexis continue – après Mammon, qui renouvela la problématique et la figure du Mal absolu, thème qui hante son œuvre – sa quête d’absolu dans l’inventaire des tourments qui nous habitent, poussant toujours plus loin la reconnaissance de ces plaines sombres où s’agite un (é)Moi infatigable et insaisissable avec lequel nous luttons si souvent. À moins de laisser filer cette tendance et d’en assumer les conséquences, l’Homme n’a de cesse de réfréner ses instincts présentés comme les plus bas, quand le fameux bât qui flanche est une fois encore situé ailleurs, perversion des lois et non de la nature.
[…] bélier qui élargit l’écart entre deux branches, qui de la langue atteint une baie convoitée. Un groin, une hure la profanaient, des tiédeurs de musc, de laine, de viandes corrompues. On la prenait dans une étable. […]
Trois récits, trois temps, un futur proche dans lequel se délite une cité, où les personnages finissent alors par invectiver l’auteur, lequel les envoie aussitôt sous les fourches de l’Inquisition voir s’ils feront toujours les malins quand il s’agit d’affirmer sa libido face au pouvoir de l’Église ; puis, comptes soldés avec le dogme, la seconde partie du livre s’ouvre sur le troisième conte, placé dans les Deux-Sèvres, à la fin de l’hiver 1956, dans une demeure luxuriante où les quatre tantes du narrateur semblent mener une vie paisible, mais ça c’était avant…
Marthe posa ses lèvres sur les miennes. Sa main quitta la branche et s’enquit d’une autre raideur. « Les yakshas aiment ce qui est dur, murmura-t-elle, ces femmes végétales que les bouddhistes représentent une jambe repliée, clitoris pincé entre le pouce et l’index. »
Elle se déshabilla et prit la pose, un bras lové entre les branches, l’autre croisé sur son ventre. Elle se frotta. Je vis la sève couler sur sa cuisse. Aussi fort, aussi dur que le tronc sur lequel elle était adossée, je la pris rudement, debout, terre striée de racines volontaires, recherche d’eau, nourriture et jouissance, mère, femme, seins, écorce et bouche.
Chamboulant la Carte du Tendre, déstabilisant la ménagère de moins de cinquante ans, pourfendant l’idéal amoureux, Robert Alexis porte le fer au sein de la plaie originelle. L’Homme n’est que moitié en quête de son complément, somatisant encore et toujours cette libido, désir de complémentarité dans l’emboitage des corps pour apaiser l’esprit en fusion permanente. Vérité universelle maquillée en poésie pour atténuer l’offense. Mais elle n’en demeure pas moins présente.
François Xavier
Robert Alexis, Les Contes d’Orsanne, José Corti, coll. "Domaine français", août 2012, 254 p. – 17,50 €
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