Gainsbourg, une vie en BD

François Dimberton est un habitué des biopics en BD. Après des albums consacrés à Johnny et à Coluche, le voilà qui s'attaque, anniversaire oblige, à Serge Gainsbourg (1928-1991). Accompagné de l'excellent 
Alexis  Chabert au dessin, il retrace la vie compliquée et les oeuvres géniales du plus désabusé des grands compositeurs de variété française. Art mineur, selon lui, qu'il a su tirer vers le haut et produire des succès pour les plus grands noms de la chanson tout en poursuivant sa propre carrière, avec des moments fort et des moments sombres — comme ces albums qui ne seront des succès qu'après sa mort (Melody Nelson) ou son roman qui devait porter le fer contre l'art contemporain, Evguénie Sokolov, mais qui ne fut guère lu... 
Tout Gainsbourg y est, de l'immigration de ses parents jusqu'à la rue de Verneuil, des débuts jazzy aux mélodies rasta, de la peinture abandonnée jusqu'au cinéma où il sera largement incompris. 
Gainsbourg et les femmes, ce pourrait être un livre à part, c'est le fil conducteur de sa vie et de sa création. Elles occupent une large partie de cet album, rappelant combien cet homme laid a su être aimé, malgré lui, malgré ses angoisses et sa peur viscérale du bonheur. L'album montre bien comme Gainsbourg devient Gainsbarre, comment il s'enfonce de plus en plus dans le réconfort artificiel de l'alcool et du tabac, comment il se détruit méthodiquement.

Ce qui est vraiment très beau dans cet album, ce sont les grandes planches fantasmatiques où Alexis Chabert laisse éclater tout son talent de mise en scène et propulse Gainsbourg au milieu de ses illuminations ou ses cauchemars. Parfois Gainsbourg est remplacé par une bouteille comme s'il devenait sa pire compagne. Le travail graphique est impressionnant et porte ce récit de bout en bout. Il y a notamment une double page où Brigitte Bardot sur sa Harley Davidson est en surimpression de nombreux portrait de Serge Gainsbourg, dont lui-même s'efface, comme s'il fuyait le bonheur. De peur qu'il ne sauve ? 

Un très bel album pour les fans, et tous les curieux de la vie de ce grand poète et cet être infiniment délicat et blessé que fut Serge Gainsbourg, qui déjoua tous les pronostics et devint le "patron" de la chanson française.

Loïc Di Stefano

François Dimberton (scénario) et Alexis  Chabert (dessin), Gainsbourg, suivi de "Comment Gainsbourg est devenu un génie" par Bertrand Dicale, Jungle, février 2016, 96 pages, 25 eur
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