Louis-René des Forêts : quand l’écrivain se met à peindre

Rentrée littéraire ne veut pas dire qu’il faut pour autant en oublier le passé. Or voici qu’un éditeur talentueux nous propose de revisiter l’œuvre de Louis-René des Forêts par le biais de ses travaux picturaux ; ce qui vous incite forcément à vous reporter sur l’écriture. Ainsi me voilà ressortant le Quarto, somme de tous les écrits de ce formidable poète qui peignait, de ce dessinateur qui écrivait merveilleusement.
Occasion inestimée de fuir le produit commercial bâclé comme, au hasard parmi cent, le dernier Angot, et de me replonger dans les délices du Bavard, premier roman et magistrale gifle reçue avec la joie d’un coup de vent salutaire sur la langue, si outrageusement attaquée de nos jours. Louis-René des Forêts sait tenir un pinceau mais il maîtrise aussi la narration, la portant vers ses plus hauts sommets, dans une langue claire, scintillante, d’une rare pureté tout en lui offrant les possibilités infinies de la description et de la peinture épicée des émotions…
Le pouvoir de révélation de l’œuvre de Louis-René des Forêts, écrit Maurice Blanchot en 1963, est lié à cette "contrainte" que l’auteur a subie pour l’écrire, où quelque chose d’impossible est venu à lui et que nous accueillons à notre tour parfois comme un appel exigeant et contraignant, mai parfois aussi (là est le mystère et le scandale de l’écrit) comme l’approche d’une joie, l’affirmation d’un bonheur – désolé et ravissant.

Porté par de très belles photographies, ce beau-livre permet donc de saisir avec netteté la vivacité ironique et frondeuse qui habite des Forêts : l’éclat du rire, le sel des larmes et la toute-puissante sauvagerie ; formule ternaire qui pourrait tenter de résumer ce qui anime l’âme de cet artiste complet. Conservant une âme d’enfant, il tâchera de nous faire entendre cette voix par l’emploi d’une parole lapidaire, une phrase composée, volontairement rhétorique, mais dont le rythme poétique épouse le caractère toujours miraculeux de la visitation.
Il aura été un des plus véritables existants de notre époque, rappelait Jean Grosjean dans un numéro de la NRF, en octobre 2001, à une profondeur que l’existentialisme français a ignorée. Et il a payé le prix de son périple sans rien perdre de sa terrible jeunesse d’âme. Sensible à la beauté du monde et aux exploits humains, il acceptait d’autant moins la vilenie et les cruautés.


Ainsi le voilà posant la plume, entre 1968 et 1974, un vœu de silence pour se porter vers d’autres médiums. Le voilà écrivain qui n’écrit plus, foudroyé par un trait fulgurant venue en une seconde frapper, déraciner, trancher au plus vif l’épicentre de sa vie. Dans la vacance de ce temps dévasté, de singuliers dessins apparaissent, complexité et originalité de la construction, densité des énigmes et éclatante étrangeté désignent ces esquisses qui rappellent aussi l’harmonie musicale. Pierre Klossowski y relève une dimension fantasmatique. En effet, ces premiers dessins semblent bien appartenir à sa période scolaire, quarante-cinq sont d’ailleurs réalisés sur des feuilles de papier réglé, soustraits à des cahiers scolaires.
Dans l’atelier seront retrouvés, dans d’autres cartons les encres de Chine mais surtout les gouaches : très présentes dans les deux tiers de ses compositions, elles signent un inflexion cruciale. Invité, soutenu par Pierre Bettencourt, imprimeur et éditeur qui réalise des livre-objets, il ira vers la couleur, s’attachant à respecter une certaine technique. Et à chaque carton une découverte, démontrant l’application formelle de des Forêts dans son travail et la maîtrise toujours plus poussée à la réalisation d’œuvres remarquables…
Rarement exposées, jamais commentées par l'artiste, il y a une énigme des Forêts que l'on tente de percer au fil des essais qui accompagnent les dizaines de reproductions, mais au-delà des présentations et des explications, le plus important restera cette force qui transperce le regardeur dès qu'il se confronte avec l'une ou l'autre peinture. Preuve s'il en est besoin, de confirmer l'extraordinaire qualité créative de Louis-René des Forêts, quelque soit le support choisi. L'émotion qui se communique au regard des simples dessins ou des peintures plus abouties, participent à donner une place prépondérante à ce catalogue de l'œuvre peint aux côtés des écrits, à égalité d'importance...


Écoutez-le qui grignote à petit bruit, admirez sa patience
Il cherche, chercha à tâtons, mais cherche.
Saura-t-il du moins mettre en ordre,
Débarrasser, décrasser les coins et recoins
De cette tête encombrée qui est la sienne
Où il tourne en rond sans trouver sa voix,
Sinon quand le vent souffle à travers bois,
Que la mer roule fort, couvre d’écume les digues,
Quand la nature met la langue à sa rude école
Et lui enseigne des harmonies sauvages,
Suaves aussi parfois comme la flûte d’un oiseau,
Qu’elles viennent de cet oiseau même ou du roulis d’un ruisseau.
Dirait-on qu’il faut accorder sa voix à celle des éléments
Mais soit qu’on dise l’inverse, c’est les deux fois ne rien dire.
Les mots dont chacun use et abuse jusqu’au jour de sa mort,
Les a-t-on jamais vus agiter les feuilles, animer un nuage ?
Vaine question, vaine la poursuite de ce qu’au moment de saisir
On laisse échapper par crainte d’en corrompre la substance.
Trop belles sont ces images engourdies dans leurs poses,
Qu’on voudrait voir dévêtues ou fouettées jusqu’au sang.
Aussi se tient-il voûté sur un champ étroit
Comme une bête creuse un trou, il en fera sa tombe.

Poèmes de Samuel Wood, 1988

François Xavier

Louis-René des Forêts, La Terre tourne et la flamme vacille – Catalogue raisonné de l’œuvre peint, essais de Pierre Bettencourt, Pierre Klossowski, Nicolas Pesquès, Dominique Rabaté, Pierre Vilar et Bernard Vouilloux, 210 x 250, coll. Monographies, L’Atelier contemporain, septembre 2021, 272 p.-, 30 €

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