Vite ! Relire le "Robespierre" de Georges Labica : pour "Une politique de la philosophie"

Initialement publié en 1990 aux PUF, ce court essai met en lumière la dignité philosophique de Robespierre. L’Incorruptible. Publié à dessein car le bicentenaire de 1789 avait vu quelques plumitifs traîner le grand homme dans la boue. Comme si la dérive totalitaire de la Révolution française était de sa faute. Et seulement lui. Gorges Labica n’ira pas pour autant sur le chemin de la réhabilitation. Il restera sur ses positions. Celles d’un philosophe à l’écoute de l’un des siens. Ainsi, loin des polémiques historiennes, il saisira la spécificité de la pensée politique de Robespierre.


Hé oui, car Robespierre est l’homme par qui la pensée de l’inédit s’annonça dans le monde politique. Visionnaire à n’en pas douter. Lui dont personne n’avait entendu parler. Et qui se confond de bout en bout avec le déroulement de la Révolution. Un homme, une pensée, deux exigences : la fidélité aux principes (j’en connais aujourd’hui qui devraient y penser sérieusement !) et l’attention portée à l’événement (j’en connais aujourd’hui...). C’est comme cela, nous signale Labica, qu’une philosophie devient vérité !


Avec acuité et sagesse mais en gardant l’œil ouvert, Labica nous explique comment voir derrière la figure emblématique de Robespierre cette créativité de la séquence révolutionnaire à l’œuvre. Pour paraphraser Rancière, on pourrait dire qu’une scène politique a surgi.


Passées ses remarques liminaires, Georges Labica ira plus en profondeur. Il étudiera dans le détail l’intervention de Robespierre. Depuis son mandat à la Constituante jusqu’à Thermidor. Où l’on découvre alors que Robespierre n’est pas un homme d’action. Mais bien un homme des mots. Ce sont ses discours qui, dans les assemblées et aux Jacobins, ont pu influencer sur le cours des choses. À croire qu’il s’absenta volontairement des grandes journées insurrectionnelles. Pour mieux tenter d’en comprendre les enjeux. Et la signification de tout ce sang versé. Pour que cela ne soit pas vain…


Robespierre a souvent un coup d’avance. Il anticipe. Il pressent. Il verra venir la contradiction entre le peuple-nation (sujet abstrait de la souveraineté) et le peuple-classe (ces sans-culottes au grand cœur pour qui il prend fait et cause). Il tentera d’organiser le gouvernement révolutionnaire. Il comprend le premier le danger de la bureaucratie (j’en connais aujourd’hui…). Ce cancer qui nous ronge et qui n’a rien à voir avec la vertu républicaine. Mais avec une autre forme de privilège…


Un dernier chapitre fort à propos. Et fort captivant traite du rapport philosophie religion avec une vision labicanienne qui prend toute sa puissance. Sorte de Michel Onfray de l’époque, Robespierre tente l’impossible. Opposé à une déchristianisation brutale et verticale, il dessine une véritable ligne de classe. Il propose une frontière entre un athéisme bourgeois et aristocrate, et le sentiment religieux des classes laborieuses. Ainsi, le culte de l’Être suprême pourrait apparaître comme une tentative subtile (quoique un échec cuisant dans les faits !) de maintenir le consensus révolutionnaire.


Finalement, Robespierre n’est ni un mystique ni le précurseur des révolutions modernes. Il fut plutôt l’une de ces brindilles qui furent emportées par le courant. Mais une brindille plus solide. La sentinelle d’une utopie. La veilleuse d’une idée. Avant que la nuit derechef ne tombe sur les Hommes… Un petit livre qui est désormais un classique. Pour les historiens. Pour les philosophes. Pour tous les rêveurs qui aspirent à un monde meilleur…


Annabelle Hautecontre


Georges Labica, Robespierre – Une politique de la philosophie, préface de Thierry Labic, La Fabrique éditions, février 2013, 216 p. – 13,00 €

3 commentaires

Il s'agit là d'une vision de Robespierre. Si l'importance de l'homme, ses qualités d'orateur, son soutien à des causes qui nous parlent encore (comme l'émancipation des esclaves noirs) sont estimables, son rôle dans le déroulement de la Terreur est central. Je renvoie à l'ouvrage de Patrice Gueniffey, "politique de la terreur", analyse historique très éclairante.

Non mais quel rapport entre Michel Onfray – ce "philosophe" réactionnaire qui a, entre autres, repris à son compte des thèses d'extrême droite sur Marat pour faire l'éloge de sa meurtrière – et Robespierre ?

...qui a vu "quelques plumitifs traîner le grand homme dans la boue."  ben, c'est que le "grand homme " , humainement et politiquement, est une belle saloperie! En fait, la subtile combinaison d'un manipulateur de première, arriviste forcené, verbeux jusqu'au délire, adepte des systèmes les plus liberticides, cynique total, et qui en plus a du  sang de ses opposants politiques jusqu'au coude. Excusez du peu.
Un grand homme, donc, admirable à tous points de vue pour certains, et qu'il convient de rehabiliter, car il incarne "cette créativité de la séquence révolutionnaire à l’œuvre",  "pour tous les rêveurs qui aspirent à un monde meilleur…" sic.

Pardonnez à l'Histoire  avec un grand H de s'interroger avec neutralité sur le personnage, et pardonnez aux lecteurs férus d'histoire de ne pas gober béatement les hagiographies émues de dictateurs sanglants, genre littéraire curieusement  toujours  en vogue dans l'intelligentia française.

Au train où vont les choses,  un génie méconnu , philosophe de profession ou universitaire à posture, va bientôt nous sortir une réhabilitation émouvante et "porteuse d'espoir "de Pol-Pot, ou , tiens pourquoi pas, de Goebbels ( les extrèmes se touchent, c'est bien connu )
Ils nous ont déjà fait le coup avec le Che et Fidel, bientôt ça sera Khadafi ou Assad.
C'est que le succès d'Alain Badiou et de son apologie de la dictature et des dictateurs communistes a ouvert les portes de la célebrité et des gros tirages aux thèses les plus inattendues.  Voilà désormais philosophes et  profs de fac occupés à réenjoliver l'histoire de la terreur et à transformer d'authentiques salopards en gourous. Comme quoi, quand on est trop intelligent, le cerveau finit par tourner à vide.