Surprédateur

 

Dobermann. 

Ring Editions. L’intégral. Tome 2 et 3.

 

Genre : Saga énervée et jouissive d'un ennemi public, braqueur de banque, chef de gang et adepte du 357 Maximum, son parcours contrarié par les forces de police et concurrents directs.


Unité de temps, contemporaine.  Unité de lieu, un Paris et sa banlieue réinventés en théâtres pour voyous.

 


 

Dans les années 80, Joël Houssin livre d’un jet 19 romans policiers hargneux et sanguinaires,  qui aujourd’hui se révèlent visionnaires.


Petit retour en arrière. A l’époque, Ronald Reagan dénonce l’Union soviétique comme « l’empire du mal », le visage de feu Jacques Mesrine s’étale sur les affiches de cinéma, le groupe de hard-rock Trust tente en vain de chanter le Mitard dans les prisons françaises, la France inaugure le pouvoir mittérandiste, les derniers bastions révolutionnaires de l’ultra gauche sombrent dans le terrorisme et les cours de bourse explosent à la hausse. 1981.


Dans ce contexte, le Dobermann gronde pour la première fois au Fleuve Noir, collection Spécial Police. Les personnages sonnent forts et justes, l’action prime, les dialogues claquent. C’est rythmé comme un solo de batterie. Coup de maitre. Une série est née.

 

 Joël Houssin, n’est déjà pas un inconnu.  Depuis 1975,  il publie une science fiction sombre qui pose la question de la raison au monde. La réponse est sans équivoque : ses personnages sont en but à des zones dévastées, livrés à la loi de la survie, précipités dans un futur qui ne les mène nulle part.

 

 Son nouvel héro est un bien étrange animal ancré dans le présent. Charismatique, contemporain de George Besse, rebelle sans étendard, il casse des banques. Il n’est ni le premier, ni le dernier despérado des villes imaginé par les auteurs de la série Spécial Police, mais Houssin hausse le ton et le niveau, ose la fête macabre, balance les bastos avec joyeuseté, va ainsi à l’encontre d’une certaine prose policière, cinématographique ou livresque. 







Là, on est dans le réel.  A l’américaine.  L’écriture est vive, précise. Le propos, limpide :  vivre vite et mourir dans une société où le bien n’est plus représenté par les élus.  Dans le traitement de fond, fini le criminel à la papa, même si la forme colorée par Houssin rend hommage à Auguste Lebreton et Albert Simonin ;  Raymond De Neuilly, Moustique, l’Abbé…. L’héritage, qui flirte avec le folklore, s’arrête là.  


Dans un Paris fantasmé en quelques phrases pour planter le décor, le Dob casse la baraque et veut jouir de ce qu’il peut arracher aux nantis. Point barre. Il te nique, et,  ni il ne s'apprivoise, ni il ne s'encage.  

 

En ça, Houssin annonce avec quinze ans d’avance l’éclosion des caïds d’à peine dix huit piges, qui quelques années plus tard affronteront  sans discernement l’ancienne génération de parrains. Il annonce aussi  les  brasiers qui illumineront les quartiers périphériques cernant la Capitale et les changements radicaux de méthodes.  La génération du Dobermann envoie à la casse 7,65 et colt 44. Dorénavant, le fourgon de la Brinx, on le traitera façon commando, 357 Maximum, lance roquette et AK47 en bandoulière.  

 

En 1981, Joël Houssin casse et réinvente donc les décors et les codes du polar. Terminés, les intérieurs bourgeois, les crimes à élucider, les parcours initiatiques de l’enquêteur ou du tueur trahi par ses employeurs. Le mal n’est pas exogène mais endogène.  Il est aussi désespérément joyeux, ne connait pas la culpabilité. Le bad boy se sert dans la caisse du Trésor Public, Satan qui a engendré sa génération ! Le Dob est l’enfant d’un monde dénué de scrupules, dirigé par des politiques corrompus, et, paradoxe, ce qui semble l’intéresser, c’est le jeu qu’il impose à cette société, à cet État qui pourrit sur pied.

 

Joël Houssin choisit et dépeint les lieux de la désolation et de l’urbanisme concentrationnaire des banlieues. Les bistrots minables, les arrière-cours des ateliers, les salles de jeux clandestines, sous-sols d’un Paris gangréné,  les bretelles d’autoroutes, les no man land déshérités deviennent le théâtre d’affrontements  pour le cash arraché vite fait. C'est le gros lot à tous les coups ! Enrichissement dont les protagonistes connaissent l’inanité : le gang du Dob n’est pas dupe. On est chez Michael Mann avant l’heure ; tout ça finira mal. Il n’y aura aucune issue heureuse.


Mais, qu’est-ce qu’on se marre !

 



Le pitch de la série du Dobermann :

 

Les gangsters et les policiers de tous poils qui ont la main mise sur le milieu parisien affrontent un gamin aux yeux dorés, chef d’un gang composé d’asociaux, une d’une bande de fous furieux qui leur piquent des affaires, cassent les coffres, ne respectent aucune des règles instaurés par Messieurs les arcans. Ceux-ci, téléguidés ou non par la police, ripostent, mais le Dobermann protège son gang à coups de balles vengeresses. Il n’hésite pas, avance droit devant. Ceux qui tentent de lui barrer la route, ne sont bientôt plus la pour s'en mordre les doigts. Le minot n’honore que sa loi, celle du refus du moindre calcul. Il veut bien mourir, si c’est pour garder la face, ou sauver la peau de Nat La Gitane, sa dulcinée.

Sans jamais les fréquenter, le Dob côtoie des truands classiques, comme Mondiloni, des frangins manouches, des femmes dont Houssin prend la peine de tracer les carrières, patronne de bastringues ou flambeuses. Toujours politiques et jamais  faire-valoir, ces dames.  Du coté des représentants de l’autorité, le mal inhérent à la société cher à Joël Houssin, a fait son œuvre : les inspecteurs et commissaires types Christini ou Baumann sont soient des détraqués prompts à tous les parjures de leur mandat policier pour détruire la nouvelle engeance criminelle, soient des fonctionnaires désabusés tentant de réduire la fameuse fracture sociale. Ces derniers sont broyés par le système.

 

Houssin livre un message politique : les vrais voleurs sortent des grandes écoles et magouillent dans les couloirs du pouvoir, les bads boys sont des arpettes et la gente policière manque de moyens pour remplir sa mission. La loi n'a pas les armes pour servir sa cause. 


Ainsi débute le second volet de la réédition complète chez Rîng Editions de la série Dobermann. Dans ce second opus, Rita les Fourrures, Raymond de Neuilly, Lucy Main  d'Or et Serge l'Elégant, seront bien malgré eux les protagonistes d'un Fort Alamo au royaume des flambeurs et des patrons du business.  Le cerveau malade du commissaire Christiani a échafaudé un plan : puisqu’il échoue dans sa mission de police, qui mieux que des prédateurs pourraient arrêter la course de l’insaisissable ennemi public aux yeux dorés ?


 Par ce procédé d'opposition Joël Houssin pose les bases d'une réalité : Yann Lepentrec, alias le Dob, tout gangster qu'il est,  n'est pas du Milieu. Si ce n'étaient ses iris d’or qui signent irrémédiablement sa présence, le Dob ne serait qu'une ombre jaillissant de sa planque le temps d'un casse rapide et ficelé aux petits oignons. Là, est le paradoxe du personnage : son ultra violence n'explose que confronté à la bêtise de ceux, flics ou voyous, qui l'acculent. Elle n’est qu’un signal d’alarme, une alerte envoyée aux dirigeants : attention, reprenez-vous, vous ne nous représentez plus.  Nous les fils des chômeurs, des régions désindustrialisés, comment voulez-vous qu’on respecte vos lois si celles-ci nous détruisent alors qu’elles vous enrichissent ?

 

Surpredateur d’une intelligence rare, insaisissable, le Dobermann est le premier d’une armée en devenir, celle des laissés pour compte. Il plante ses crocs dans le steak avarié de la société et en redistribue les meilleurs morceaux à sa fratrie. Éternel fugitif, électron libre, libre comme un gibier pris en chasse, en toute conscience, il suit sa voie. 


Auteur Joël Houssin. Genre Thriller / Policier. Collection Ring Noir.

 

 


 

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