"Comment de Gaulle fit échouer le putsch d'Alger", le connétable face aux soldats perdus

Historien spécialiste des questions de politique étrangère — on lui doit un ouvrage important sur la politique étrangère du général de Gaulle, La Grandeur, paru chez Fayard —, Maurice Vaïsse propose ici une nouvelle version d’un ouvrage édité en 1983, enrichi et actualisé grâce à l’ouverture partielle des archives de la période de la guerre d’Algérie dont le putsch d’Alger constitue un des derniers prodromes.

Cinquante ans ont passé depuis l’évènement sans pour autant que toutes les passions soient retombées, en témoignent les polémiques autour du film Hors la loi. Maurice Vaïsse propose ici une synthèse retraçant l’évènement, la façon dont il a été vécu en France et en Algérie, ses tenants et ses aboutissants. Le but étant de comprendre, in fine,  pourquoi ce putsch a échoué.

Un contexte troublé

En 1961, la guerre d’Algérie entre dans sa septième année. Le plan Challe, lancé en 1959, a permis de battre sur le terrain le FLN mais celui-ci a remporté de nombreux succès internationaux et suscite la sympathie dans de nombreux pays. Quant au plan de Constantine, censé développer l’Algérie, ses résultats sont trop minces pour avoir changé la situation des populations en un laps de temps aussi court. Enfin, si les activistes de l’Algérie française ont cru l’emporter en Mai 1958 avec le retour du général de Gaulle au pouvoir, l’annonce faite par celui-ci du référendum sur l’autodétermination en septembre 1959 a provoqué le désespoir des pieds noirs et suscité des troubles dans l’armée

Le malaise de l’armée

La « grande muette » traverse en effet une crise, née de la débâcle de 1940 et relancée par la défaite en Indochine que beaucoup d’officiers ont attribué aux hommes politiques. C’est suite à la défaite française dans le Sud-Est asiatique qu’est né le concept de « guerre contre révolutionnaire », en référence à la théorie de la guérilla théorisée par Mao Zedong et reformulé par le colonel Lacheroy. L’armée française arrive en Algérie avec ce bagage. L’attribution des pouvoirs spéciaux et l’envoi du contingent en 1956 par le gouvernement socialiste de Guy Mollet consiste à lui accorder dans la pratique un véritable blanc seing. L’usage systématique de la torture dans les interrogatoires, les programmes de pacification mais aussi le travail d’alphabétisation mené par les militaires auprès des populations en découle.

Si elle a soutenu de Gaulle et préparé une intervention militaire (l’opération « résurrection ») en 1958, son malaise ne cesse de grandir devant sa politique. Le Général a écarté les ultras du gouvernement (départ de Soustelle après la semaine des barricades en janvier 1960), a proclamé la mort de « l’Algérie de papa » et amène progressivement le pays vers l’acceptation de l’indépendance algérienne. Des négociations secrètes avec le FLN débutent (alors que de Gaulle voulait initialement voir d’autres interlocuteurs émerger, sans compter l’existence du MNA de Messali Hadj). Or les cadres de l’armée sont acquis à la cause de pieds noirs et en son sein que naît l’OAS.

C’est fin 1960 le putsch prend forme, avec à sa tête un officier, Maurice Challe, très respecté dans l’armée française et ancien commandant en chef centre Europe au sein de l’OTAN jusqu’en Janvier 1961. Le but des conjurés était de prendre le contrôle de l’Algérieet de gagner la guerre sur le terrain en trois mois. Challe, qui avait eu des contacts avec la CIA, pensait obtenir le soutien des américains (une illusion quand on connaît les positions publiques et privées de Kennedy et de son administration) : de Gaulle l’apprit ensuite, ce qui renforça sa méfiance à l’égard des Etats-Unis.

L’objectif de Challe — garder l’Algérie Française — rejoignait donc ceux de l’OAS créée en 1961 par Jean-Jacques Susini et Pierre Lagaillarde. Restait une interrogation : quel serait l’attitude du contingent ?

Le quotient personnel de de Gaulle

Ce que montre Maurice Vaïsse, c’est à quel point le prestige du général de Gaulle était grand parmi les appelés du contingent. Si nombre d’officiers hésitèrent à rejoindre les putschistes, les appelés restèrent dans une expectative inquiète, jusqu’au célèbre discours du 23 avril, fustigeant le quarteron de généraux en retraite. Les appelés refusèrent alors de servir les officiers factieux, signifiant ainsi l’échec du putsch. Challe le constate très vite et sait que le temps joue contre l’opération. Refusant de déclencher des affrontements fratricides, il renonce et se livre le 26 Avril. Reste les partisans de L’OAS qui combattront jusqu’à l’été 62 (et même au-delà).

Plus de peur que de mal ?

Vaïsse démontre que le putsch, dont la menace avait été intégrée par de Gaulle, suscita une panique en métropole, sans rapport, très vite, avec sa portée sur le terrain. Le premier ministre en appela à la défense de la République, la gauche se rallia massivement, Malraux réclama des armes au gouvernement (souvenir de la guerre d’Espagne) pour armer le peuple... Le résultat fut de souder la nation politique autour du Général et d’isoler un peu plus les pieds noirs et les activistes de l’OAS, dont l’activité terroriste redoubla durant l’année qui suivit le putsch. L’article 16 de la constitution, conférant les pleins pouvoirs au président, fut utilisé par de Gaulle, qui en eut une lecture, plutôt « extensive » quant à sa durée.

Les suites du Putsch

Il est indéniable que l’armée sortit profondément renouvelé de cet évènement. Il y eut des condamnations –les 4 généraux bien sûr mais aussi des officiers comme le commandant Hélie Denoix de Saint Marc-, des désertions qui profitèrent à l’OAS ; des départs aussi. Les années 60 furent celles de la fin de l’empire colonial, avec baisse des effectifs, mais aussi du développement de la dissuasion nucléaire. Car le pari du Général était de doter la France d’une nouvelle armée et d’une nouvelle stratégie pour lui redonner son poids et son prestige. Une des conséquences politiques fut le renforcement du pouvoir exécutif, préparant ainsi l’opinion au référendum de novembre 1962 proposant l’élection du président au suffrage universel.

Un autre livre, le putsch des généraux, de Gaulle contre l’armée de Pierre Abramovici, propose une lecture « machiavélienne », selon laquelle le gouvernement aurait laissé se produire l’évènement pour mieux renforcer sa légitimité et ses pouvoirs. Pour Vaïsse, cela ne tient pas, compte tenu de l’attitude de Debré et du vacillement de certains hauts fonctionnaires durant cette journée du 22 Avril.

Reste le panache et le courage d’officiers qui allaient à contre courant de l’histoire…

Sylvain Bonnet

Maurice Vaïsse, Comment de Gaulle fit échouer le putsch d'Alger, André Versaille éditeur, Mars 2011, 350 pages,19,90 €

 Voir l’ouvrage de Benjamin Stora, « le mystère de Gaulle : son choix pour l’Algérie » (Robert Laffont, 2009), qui revient sur le choix de l’autodétermination.

1 commentaire

Les évènements de la guerre d’Algérie ont constitué, incontestablement, une véritable révolution dont les algériens, à nos jours, s’en doute à peine.

 Faut-il garder encore le silence ?

 Des livres ? – Il y en a eu des montagnes et chacun a raconté sa version des faits à sa façon… des anciens combattants intellectuels ou non, des témoins de l’Histoire, des témoins survivants d’une mémoire, d’anciens officiers de l’armée de libération, des journalistes, des historiens de grande valeur tels Mohamed Harbi, Benjamin Stora,… et chaque ouvrage est plus important que celui qui l’a précédé.