Lauren Elkin : ce que marcher veut dire

La tradition de livre de voyage prend parfois des détours passionnants. Ce qui y est cherché est moins l'exotisme qu'une aventure humaine simple mais étonnée de ce qu'elle rencontre au moment où son auteur se fait piéton de la ville. Lauren Elkin rentre ainsi dans le cercle fermé des écrivains flâneurs qui n'ont comme armes leurs bonnes jambes et leur curiosité.

Pour l'Américaine la flânerie n'est en rien touristique. Elle évoque uniquement dans son livre les villes où elle vit ou a vécu : New-York, Londres, Tokyo, Venise et Paris. La première et la dernière sont les plus importantes pour elle. Elles ouvrent et ferment l'ouvrage (avec deux photos) mais se retrouvent tout au long des chapitres et réflexions.

Dans chaque cité la marche permet la méditation. C'est aussi un moyen de trouver - à travers les différents quartiers - une unité urbaine. Elle est aussi un moyen de passer de l'intime d'une vie à des considérations plus générales pour celle qui aiment les femmes.

Certaines d'entre elles sont ses "phares" : George Sand, Susan Sontag, Agnès Varda. Virginia Woollf surtout : ombre tutéllaire qui l'accompagne toujours - implicitement ou non. Mais sans oublier Jean Rhys dont le sourire efface un temps celui de la Joconde. Il est vrai que celle dont elle parle au masculin comme au féminin fut un temps son oiseau moqueur.

Au fil de son travail de journaliste comme de ses amours, l'auteure se laisse prendre aux charmes de la ville tout en sachant en faire saillir, via l'histoire littéraire, les grandeurs et les misères, l'actualité mais aussi la mémoire.

Lauren Elkin rappelle ses grands devanciers américains (Hemingway, Miller) mais en plus esthète. Aussi impertinente qu'eux elle évite toutefois leurs farces, attrapes, parti-pris ou approximations. Elle garde toujours une distance amusée, un "envers soi" et une manière de dire beaucoup sans jamais pousser dans le sens des obsessions.

Existe là une grâce qui la rapproche surtout de Haldas ou de l'Apollinaire du "Flaneur des deux rives". Mais chez elle le Seine n'est pas la seule piste : l'Hudson, la Tamise, les canaux vénitiens épousent ses dérives.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

Lauren Elkin, Flâneuse, traduit de l'anglo-américain par Frédéric Le Berre, coll. "Etonnants voyageurs", Hoëbeke, mars 2019, 368 p., 23 euros

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