La poésie française, un rayonnement universel

Dans son Anthologie de la poésie française paru en 1961, Georges Pompidou livre quelques réflexions personnelles pour expliquer sa démarche. Il note qu’un poème ou simplement un vers provoque chez le lecteur une sorte de choc, le tire hors de lui-même, le jetant dans le rêve. Pour lui, telle est l’ambition secrète et démesurée de tout auteur d’anthologie. Il ajoute encore que si celui-ci commence pour lui-même une telle entreprise, c’est pour d’autres qu’il la termine et la publie. C’est dire qu’il se trahit lui-même puisqu’il livre le secret de ce qui le touche.

Tout au long de ces pages, fidèle à la notion d’anthologie qui comme le veut l’étymologie du mot est une cueillette de fleurs, confronté à la dure règle de la sélection, Emmanuel Maury en dévoilant ses choix partage dans le même temps ses émotions personnelles. Ayant parcouru l’immense champ de la poésie francophone, il a collecté ce qu’il estimait en être les plus belles floraisons, moissonnées selon ses goûts intimes et son sens critique. Ce qui a forcément impliqué relégations, mises à l’écart, décisions arbitraires sans doute, que lui seul pourrait avouer et justifier. D’autres noms auraient pu peut-être figurer parmi les élus.
Dans un précédent ouvrage consacré à la poésie européenne, il avait de même mis en avant les grands maîtres comme Dante, Rimbaud, Shakespeare, Rilke ou Pessoa, témoins selon lui de la diversité linguistique et de l’identité de l’Europe.

Mais le bouquet qu’il lui tend dans ce livre a de quoi ravir le lecteur découvrant des poèmes qui l’embarquent vers des cartes d’archipels et des pays oubliés, pour reprendre les images d’Erik Orsenna dans son avant-propos, et lui proposent texte après texte un regard captivé par les richesses d’écriture de leurs auteurs. Ceux-ci appartiennent à toutes les nationalités francophones qui parsèment le globe terrestre, ce qui lui procure le rare plaisir de lire de la poésie venue souvent de très loin et donne à son imaginaire des dimensions inédites.

Participant au plus près aux travaux de l’assemblée consultative de la francophonie puisqu’il en est le Secrétaire général administratif, Emmanuel Maury connait parfaitement l’étendue de cet espace qui a pour dénominateur commun envié et référence unique la langue française, ici officielle, là maternelle, ailleurs culturelle et sociale, qu’importe, partout fierté, partout source de savoir et patrimoine protégé des quelques 90 pays qui le composent.

Emmanuel Maury présente son travail en passant d’un continent à l’autre puis d’un pays à l’autre et évoque leurs voix les plus emblématiques. Voici celles qui font chanter dans leurs harmonies les racines ancestrales et clament dans leurs appels les aspirations nouvelles, voilà celles qui ajoutent à l’émoi du destin les aménités de la nature, puis celles qui avancent aux rythmes des fêtes et défient les lois des dieux. Aux côtés des noms qui ont toujours eu davantage de résonances, il a cette fois davantage convié ceux qui retentissent moins et méritent tout autant les éloges.
On trouve donc dans son florilège aussi bien Emile Verhaeren, Jean Moréas, Jules Supervielle, Blaise Cendrars et Aimé Césaire, familiers à beaucoup, que Flora Aurima-Devatine, Chehem Watta, Pham Vàn Ky, Emile Roumer et Assia Djebar, étrangers à notre curiosité et restés à tort en retrait. Ils apparaîtront à égalité de finesse et de sagesse, de sensualité et  de spiritualité, de douceurs et d’ardeurs, chacun débordant les cadres de sa terre pour parler l’universel humain.
Tous créateurs d’images et d’interrogations, ils jouent de la musicalité de la langue et des échos de ses sonorités pour exprimer une autre version de l’ineffable de l’existence. Ils unissent et confirment à leurs manières les quatre qualités essentielles du français, clarté et richesse, précision et nuance, célébrées par Léopold Sédar Senghor qui publia également une Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française.

Avec cette anthologie, l’auteur s’inscrit à la suite de ses deux illustres prédécesseurs. Il rappelle aussi, au moment où l’anglais tend à la dénaturer et l’éliminer, que la langue française rayonne toujours et demeure un lien planétaire. Pour des centaines de millions de personnes, elle constitue comme le disait Albert Camus une patrie.

Dominique Vergnon

Emmanuel Maury, Les plus belles voix de la poésie francophone – Anthologie, éditions Michel de Maule, janvier 2022, 220 p.-, 20 €

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