Monica Sabolo, Summer : Fort et onirique

Summer était une jeune fille de son temps : avec ses copines, elles riaient trop fort sans raison, se parlaient à l’oreille, partageaient des secrets, s’enfermaient dans la salle de bains pendant des heures.

Mais très vite, cette gamine heureuse et insouciante, avait fait place à une autre : une adolescente à « comportements à risques », « Une fille aguicheuse, paumée qui fait n’importe quoi ».

A qui sa mère, excédée par cette enfant « devenue notre ennemie, qui était partout, prenait tout » finit par dire : « je n’aime pas ce que tu es devenue ». Une fille qui, enfin, un beau jour lors d’un pique-nique ensoleillé au bord du lac Léman disparaît.

Dévoilant avec cette disparition la fragilité de sa famille dévastée.

Avec le père, un avocat défenseur d’hommes politique corrompus ou d’exilés fiscaux, Rolex au poignet ; la mère, une belle femme qui aurait rêvé d’une autre vie que la sienne, celle d’une grande bourgeoise aux journées vides, mais qu’une erreur de jeunesse a contrainte à cette existence de femme trophée ; le frère enfin, Benjamin, un adolescent puis un homme perturbé, accro aux médicaments et aux substances toxiques en tous genres. Incapable à presque quarante ans de garder un travail, passant son temps à dialoguer avec un psy improbable.

Evidemment le départ, la noyade ou le meurtre de Summer semble pour beaucoup dans la descente aux enfers de la très réputée famille Wassman, mais bien des secrets, bien des faits troubles, des non-dits entachaient depuis toujours sa réputation.

Benjamin, le narrateur, au fil de son existence déglinguée apprend peu à peu ce que tout le monde depuis toujours s’évertuait à ne pas lui dire, jusqu’à la vérité sur le sort de sa sœur que ses parents avaient fini par connaître deux ans après le drame : »tu ne voulais rien savoir, de toute façon », ou : « tu étais déjà si perturbé, à quoi cela aurait-il servi de te parler, à te faire plus de mal ? » Antiennes terribles et éternelles pour signifier à quelqu’un qu’il n’est rien, ne vaut rien, ne compte pas. Parce qu’il ne se conforme pas aux normes établies dans son milieu.

A travers le portrait en creux de Summer, ce fantôme gracieux disparu dans le vent et les hautes herbes du lac aux eaux troubles et visqueuses, Monica Sabolo poursuit sa quête entamée dans ses précédents romans Tout cela n’a rien à voir avec moi et Crans Montana. On pense aux films de Sophia Coppola sur le malaise d’être adolescente. Summer aurait pu être une des jeunes filles de Virgin Suicides. Tiraillée entre l’enfance encore présente mais rejetant violemment les modèles adultes de son entourage. Perdue entre les deux et choisissant l’ailleurs. La mort ou la fuite, ce qui revient un peu au même.

L’auteur dissèque la famille, la maternité, l’impossibilité d’être heureux dans les cercles trop lisses de la bonne société, met au jour les abus perpétrés dans le plus grand secret.

On ne pleure pas, on ne s’exprime pas, tout va toujours bien dans ce monde feutré des abords du lac Léman, comme partout ailleurs quand les convenances l’emportent sur la vie.

Summer est un livre fort, onirique, qui questionne le monde complexe et terrifiant de la famille.

Brigit Bontour

Monica Sabolo, Summer, Lattès, août 2017, 315 pages, 19 €

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