Les phrases d'armes ou le sursaut républicain

René Bondoux est un dandy qui se complaît à batifoler en société tout en améliorant son jeu : il sera champion olympique de fleuret à Los Angeles en 1932. De retour à Paris, morose et détaché, il devient néanmoins un avocat de renom qu’une chance inouïe accompagne. Il croise derechef, des années après son voyage aux Amériques, la belle – et trop jeune, à l'époque – fille de ses hôtes californiens à son club de sport parisien. Un mariage s’en suit et tout irait pour le mieux si la Seconde Guerre mondiale ne s’était invitée. Mobilisé dans le renseignement, Bondoux sera un capitaine exemplaire. Fait prisonnier, évadé, repris, libéré, il rejoindra l’Afrique du nord et accompagnera le général de Lattre de Tassigny, débarquera en Provence le 15 août, puis deviendra son chef de cabinet et assistera à la reddition allemande à Berlin.
Troussé comme un menuet, ce récit sautillant d'un extraordinaire destin se lit d’une traite : Paul Greveillac nous gratifiant d’un style léger et précis, parfois décalé, qui nous permet une lecture plaisante tout en abordant de sérieux événements. Et l’on s’amuse – si j’ose dire – à y retrouver certains aspects de nos sociétés contemporaines totalement déconnectées, à la dérive, comme l’étaient certaines de l’époque.
Comment ne pas faire de parallèle entre le totalitarisme étouffant des JO de 1936 et l’actuelle chape de plomb qui pèse sur nous dès lors que l’on ose émettre un avis un tantinet différent de la pensée unique ? Ne sommes-nous pas niés comme le fut Bondoux dans la cité olympique ? Lui-même n’existe plus. Son individualité est niée. Fondue dans ce tout, absorbée par ce corps social qui vibre autour de lui et qu’il voudrait pouvoir fuir. […] Le public est prêt. Autour de lui se taisent à présent les âmes. Transcendées. […] Soumises. Violées. Aujourd’hui totalement différente dans son implication, mais exactement la même dans son application, le totalitarisme règne en maître : les récents exemples des enfants suicidés à l’école (manque de reconnaissance de leur calvaire, notamment par le rectorat de Versailles), du gynécologue palois poursuivi pour homophobie – pour ne pas avoir reçu un... homme transgenre – ou encore de la sortie de Dujardin et Dupont pour avoir été encensés par un… journal, sans oublier la protection policière accordée à Beigbeder à cause... de son dernier livre démontrent combien celui qui ne suit pas aveuglément la route tracée par les woke et/ou Davos est excommunié.

Tout comme en 1939, on ne se prépare pas au combat. On va droit au casse-pipe. Le syndicat de la magistrature décide de tout, les dealers tuent en toute impunité. Faire la guerre répugne donc on abandonne des quartiers entiers, à la rigueur à un pseudo-virus pour mieux emmerder les Français, mais prendre à bras le corps le problème et le résoudre, hors de question… Or, comme le disait Gracq, tout plutôt que l’inertie : il vaudrait mieux n’importe quoi que cette lente, graduelle et passive imprégnation de la défaite.
Défaitiste Greveillac ou lucide ? Plutôt réaliste – d'ailleurs, son titre peut se lire de plusieurs manières –, et conscient que tout n’est que gris, rien de blanc ou noir, mais pour cela il faut aller regarder dans les coulisses et ne pas se satisfaire de la version officielle – sauf que c’est interdit, sinon mort sociale, perte d’emploi, etc. Alors seul le roman permet la pirouette, on détourne l’attention, on raconte une histoire dans l’histoire, on démontre que rien n’est jamais impossible même si les initiatives humaines sont aléatoires. On bâtit des légendes, mais le marbre s’effrite. On voudrait des héros, mais on n’a que des hommes. Et leur mémoire est faillible. Les détails se télescopent. Les temporalités dérivent. Nonobstant, ils arrivent – plus de dix mille à Lampedusa en quelques jours – et l’on détourne les yeux. Comme le disait Jean Raspail à Philippe de Villiers quelques jours avant sa mort, quand ce dernier lui demandait comment il percevait l’avenir : Ce sera Le Camp des saints puis Soumission
Sauf si quelques hommes de bonne volonté se lèvent. Encore faut-il qu’ils existent.

François Xavier

Paul Greveillac, Phrase d’armes, Gallimard, août 2023, 180 p.-, 19€
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