Le trésor napolitain de saint Janvier

Il faut lire ou relire le texte d’Alexandre Dumas, Le Corricolo, du nom du petit véhicule qui le transporte avec d’autres passagers de Rome à Naples. Tiré par un cheval non des plus fringants, acceptant les passagers réguliers voire parfois plus clandestins, mi-fiacre mi calèche, le corricolo devient un personnage en soi sous la plume de l’écrivain. Dans ce texte publié en 1843, Dumas raconte son voyage italien effectué en 1835. Naples est alors une des villes les plus importantes d’Europe. Grâce à son inimitable talent de conteur, Dumas relate avec une verve éblouissante ses impressions de visiteur et plonge son lecteur dans le quotidien des citadins, avec humour, poésie, tantôt avec un rien d’insolence, tantôt avec affection, toujours avec une acuité dans l’observation des Napolitains qui les rend vivants, alertes et allègres. Il évoque la bonne société et la moins bonne, composée de monsignori et de brigands, citant notamment les charmes du voleur local, le lazzarone, « homme de peu » sinon fripouille, déroutant de bon sens. « Comme il n'a pas de poches, on trouve éternellement sa main dans les poches des autres ».

 

 

Par chance, Dumas est dans la ville au moment du miracle de San Gennaro, saint Janvier. Les cloches sonnent à toute volée, le Vésuve pourrait s’animer mais ne le fait pas, la foule est joyeuse, respectueuse, fervente, les carabinieri encadrent les prêtres. La procession avance, les hérétiques sont chassés, au Te Deum succède un coup de canon. Dumas y trouve son compte. « Voltaire et Lavoisier ont voulu mordre à cette fiole, et comme le serpent de la fable, ils y ont usé leurs dents ». La science n’explique pas tout, sans doute heureusement, en tous cas pas le miracle de la liquéfaction du sang du martyr, décapité en 305 pendant les persécutions perpétrées sous l’empereur Dioclétien. La nourrice du saint est Eusébia. Le lendemain de sa mort, elle recueillit le précieux sang dans deux petites burettes, comme le montre une peinture anonyme du XVIIème siècle conservée au Museo del Tesoro di San Gennaro à Naples. Sa relation est détaillée, colorée, enlevée avec brio. L’extrait inclus dans le livre est un plaisir de lecture et surtout il restitue l’ambiance si l’on peut dire de Naples lors de cette fête curieuse qui appartient au patrimoine religieux, social et artistique de la ville et ses habitants. L’histoire est incroyable, de dimension surnaturelle, à la fois royale et populaire, elle mêle les plus grands princes aux parenti, ces femmes humbles qui lors du miracle, chantent des « mélopées médiévales, voire antiques ».

 

 

Le trésor de San Gennaro, San Gennà, comme on l’appelle affectueusement là-bas, ne sort pas d’Italie. Il n’est la possession en effet ni de l’Eglise, ni de l’Etat, ni de la Municipalité, autrement dit des entités dont le pouvoir commencent par une majuscule, mais aux Napolitains eux-mêmes, qui ont un pouvoir qui serait minuscule sans l’extraordinaire puissance tutélaire du saint, qui protège la ville contre tous les assauts possibles, éruptions et invasions. Ils sont représentés par une institution puissante, La Députation, « farouchement laïque » et qui est garante du trésor.

 

 

Exceptionnellement le trésor est exposé au musée Maillol. Avec lui c’est Naples qui se transporte, l’ancienne Neapolis, avec son cortège de gloire et de désastres, son commerce et ses victoires, ses invasions et sa résistance, ses palais et ses rues montantes, pittoresques, tendues de linge, ses palais et son château. Mais surtout sont arrivés à Paris et sont montrés ces joyaux insignes, élaborés par les plus grands orfèvres du passé, chargés d’or, d’argent, de diamants, de pierres précieuses, ornant croix et colliers, ciboires et calices, reliquaires, statues en bronze, cuivre et argent rehaussées de pierres fines, bustes baroques, autant de pièces d’un raffinement et d’une élégance au-delà de l’imagination, mêlant les styles, présents des différents dynasties qui n’ont cessé d’enrichir le trésor. Naples, écrit dans la préface Patrizia Nitti, ville plurimillénaire, « a forgé son identité entre cataclysmes naturels et multiples occupations. Elle a absorbé ces cultures avec voracité et nous les restitue souvent avec ostentation».

 

 

Nous avons ici se côtoyant la dévotion et la vénalité, l’esthétique et la loi, la vénération et la laïcité, la foi et l’incrédulité rassemblées dans leurs formes extrêmes. Mais les unit ce trésor dont la présentation est un événement rarissime, insolite, l’occasion de découvrir « une mystique profane et sacrée », témoignage d’un peuple qui veille et garde son bien le plus emblématique, justement comme un trésor !

 

Cet ouvrage dont les illustrations reprennent en détail les diverses œuvres exposées,  soulignant leur raffinement, permet de comprendre pourquoi le trésor de San Gennaro est si intimement lié à Naples. Un des textes se rapporte à l’histoire de Naples. Une lecture nécessaire pour accompagner une visite indispensable. 

 

Dominique Vergnon 

 

Riccardo Carafa, Vincenzo De Gregorio, Giuseppe Galasso et al., Le trésor de Naples, les joyaux de San Gennaro, Gallimard, 192 pages, 22x28,5 cm, 120 illustrations, mars 2014, 35 euros.   

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.