Impressionnistes du Nouveau Monde

Belle phrase que celle de William Merritt Chase, (1849-1916), peintre et peut-être surtout enseignant, qui, mise en exergue de texte concernant le séjour en Europe des artistes américains, annonce ces liens nombreux et solides mais libres et souvent distants entre les artistes, qui se créèrent de part et d’autre de l’Atlantique. « Mon Dieu, plutôt que d’aller au paradis, je préfèrerai aller en Europe ». Sous-entendu la France, plus encore Paris, à cette époque. Le Louvre est un de ces lieux qui attirent les étrangers comme un aimant. Les deux premiers peintres américains à s’y rendre dans les années 1870 sont Whistler et Mary Cassatt, suivent Sargent et d’autres. Se former sans doute, rencontrer et découvrir les œuvres des grands maîtres d’alors comme Degas, Monet, Manet à l’évidence, mais aussi les naturalistes qui les précédaient, apporter tout autant et comme un terme d’échange leurs manières de voir et d’interpréter la lumière, la vie sociale, les faits et gestes quotidiens, voilà les raisons qui président à ces voyages. Les invitations à exposer ensemble faites par Degas notamment, trouvent leur contrepartie dans une admiration mutuelle. Cette parenté dans l’indépendance conduit à des coïncidences qui prouvent l’attachement des peintres américains envers leurs homologues français, comme cette Promenade matinale de John Singer Sargent de 1888 qui reprend cet Essai de figure en plein vent (vers la gauche) que Monet réalise vers 1886. Même atmosphère de vent et de soleil qui se combinent, identique position de la femme qui porte son ombrelle, semblable couleur de la robe. Monet trouva bien sûr que Sargent l’imitait et Sickert prit sa défense.

 

Amie de Berthe Morisot, Mary Cassatt (1844-1926) dont on oublie souvent combien « elle a contribué à façonner l’impressionnisme », excelle non seulement dans les portraits bourgeois mais aussi les moments d’intimité familiale dans lesquels son pinceau tout en allant prestement, précise finement les volumes et associe les tons pour transmettre un sentiment de vie immédiate, de densité d’existence chez chaque personnage, comme on le voit dans ce portrait de la Jeune fille à la fenêtre, huile sur toile de 1883/84, où encadrée par la rigueur du balcon et du mur, elle dégage une présence physique étonnante. Simplement vêtue de blanc, toute une gamme de tons se décline autour de cette valeur majeure, ce qui donne un effet de relief jusqu’aux plis de la robe.

 

Revenus sur leur terre d’origine, les peintres américains, emportant avec eux ce qu’ils avaient appris, admiré et vu en France, s’appliquèrent à traduire à leur tour les impressions ressenties devant les sites urbains et campagnards de leur pays, les grands paysages intacts et ces instants partagés entre amis, abordant ainsi leur espace. « Mieux vaut être un authentique américain qu’un faux français » dira en 1883 Frederic D. Crowninshield. On le constate avec chacun des artistes présentés dans ces pages. Chase pour sa part est aussi adroit quand il s’agit de rendre compte de la sérénité d’une promenade à Tompkins Park, Brooklyn, petit huile sur toile où il aligne ses personnages le long de l’allée de sable qui coupe en oblique la vue et assure un remarquable effet de perspective que lorsqu’il invite le regard à saisir dans toute son ampleur le vaste panorama des Shinnecock Hills, à Long Island, l’infini reporté à perte de vue, avec une absence de l’humain qui ajoute à la solitude de l’endroit.

 

Illuminant ses tableaux de toutes les clartés possibles prises sur sa palette qui se réfractent sur les visages, les vêtements, la végétation, les eaux, Franck W. Benson baigne littéralement ces jeunes enfants dans la chaude lumière solaire, au point d’obliger Eleanor à se protéger le visage de la main, sorte d’auvent qui en assombrissant le front, fait se renvoyer sur les cheveux et le bras l’ardeur des rayons. De même, apparaît dans une attitude de protection voisine cette jeune femme, mince, debout, face à la mer, habillée d’une robe blanche très seyante, de profil, qui évoque celles qui marchaient tout à l’heure sous leur ombrelle.

 

Grand connaisseur de l’œuvre de Turner et de celle de Velázquez, se rattachant au symbolisme, ayant une influence considérable sur les générations suivantes, Whistler (1834-1903) mourut à Londres. Il peignit entre autres avec une confondante habileté les bords de la Tamise la nuit, piquetant le ciel et les édifices de quelques points lumineux que l’eau reflète, ce qui ajoute à la mystérieuse ambiance (Nocturne en bleu et argent - Chelsea). Poète avec ses pinceaux, parvenant à magnifier par une économie stupéfiante de moyens le spectacle ordinaire, il réussit à « distiller l’éternel à partir du transitoire ». L’action semble se suspendre, s’équilibrer autour de taches dont on perçoit peu à peu les mouvements et la profondeur, comme le démontre avec un brio inimitable Nocturne - Le Solent, de 1866. Trois bateaux à voile voguent sur une mer étale, aux délicates nuances de vert, d’émeraude, de jade, chacun éclairant et individualisant sa masse sombre par une minuscule lueur orangée.

 

Regroupant près d’une quinzaine d’artistes américains, cet ouvrage très bien illustré souligne avec pertinence à la fois les réciprocités qu’ils ont établies avec les impressionnistes français et leurs apports personnels, loin de là secondaires, tout au contraire, car ils ont construit cette identité esthétique américaine. Inviter le lecteur à les mettre côte à côte, à les comparer, à juger des similitudes et des divergences, à confronter les techniques est un des grands  avantages et le plaisir de cet ouvrage. On mesure qu’outre les influences étrangères, plus que des références à des modèles extérieurs, sans effacer le poids des influences, ce qui a « engendré l’impressionnisme américain, c’est la vie ». Cet ouvrage accompagne l’exposition qui a le même titre que celle qui se tient à Giverny.  

 

Dominique Vergnon

 

Katherine Bourguignon, L’impressionnisme et les Américains, Hazan, 24,5 x 29,5 cm, 160 pages, 120 illustrations, mars 2014, 29 euros.  

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